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La vallée des fées

​En débutant la lecture de cette nouvelle, je vois votre sourire en coin. La Vallée des Fées, pourquoi pas, le rocher des lutins ? Je vous laisse juger après la lecture de ce récit. ​Mylène adorait se promener dans cette vallée. Beaucoup de souvenirs de son enfance étaient liés à cet endroit. C'était un lieu où la lumière filtrait toujours d'une manière particulière, caressant les mousses phosphorescentes qui recouvraient les rochers et les troncs centenaires. Le murmure du ruisseau, un filet d’argent qui serpentait au fond, était la seule musique. ​Sa promenade était sans doute la dernière. La maladie, une ombre froide et persistante, avait fini par la rattraper. Chaque pas lui coûtait désormais un effort surhumain, mais elle s’y accrochait, cherchant dans le vert profond de la vallée une dernière bouffée de son enfance, une dernière échappatoire à la douleur. Elle avait besoin de dire adieu à ce lieu sacré. ​Alors qu’elle s'asseyait, le dos contre le tronc d'un chêne ...

Décalage

Ma montre indiquait sept heures. Le ciel, pourtant, avait la couleur d’un matin déjà bien avancé. Les ombres étaient trop courtes, la lumière trop franche. Quelque chose n’allait pas. Une femme passa, pressée, un café fumant à la main. — Excusez-moi, vous avez l’heure ? Elle me jeta un regard distrait. — Dix heures. Puis elle s’éloigna, sans me laisser le temps de la remercier. Dix heures. Je regardai ma montre — sept. Mon téléphone — sept aussi. Le monde semblait m’avoir distancé de trois heures, comme si je marchais en dehors de son rythme. Je me suis mis à courir, sans vraiment savoir pourquoi. Lorsque j’arrivai au travail, mon responsable m’attendait sur le seuil. — Vous avez vu l’heure ? Ici, on ne commence pas à onze heures mais à huit ! J’ouvris la bouche, mais aucun mot sensé ne me vint. Allais-je vraiment parler de décalage du temps ? J’aurais eu l’air fou. Les jours suivants, les incohérences se multiplièrent. Le soleil se levait à des heures imprévisibles, les horloges du bu...

Équinoxe

Dans le village de Barbâtre, tout le monde connaissait Gus. De son vrai nom Auguste, mais personne ne l’appelait ainsi, pas même le maire. Gus, c’était un peu l’âme du village , un être de sel et de vent, toujours prêt à tendre un panier ou à partager un morceau de sa pêche. Il connaissait tous les coins de la côte : les roches où dorment les crabes, les passes où le courant charrie les soles, les failles où s’accrochent les coques. Il revenait toujours avec des prises incroyables, comme si la mer, reconnaissante, lui faisait des cadeaux. Grâce à lui, dans le village, les tables ne restaient jamais vides. Les plus anciens disaient qu’il parlait à la mer comme à une amie, qu’il la comprenait, qu’elle le comprenait aussi. Chaque année, à la fin septembre, Gus attendait les marées d’équinoxe avec une ferveur silencieuse. C’était le moment où tout se jouait, où la mer et le ciel semblaient se confondre dans une lumière trouble, ni tout à fait jour, ni tout à fait nuit. Ce matin-là, il se l...

Le prix du silence

Louis se réveilla en sursaut. Une clarté laiteuse filtrait à travers les volets clos, étirant sur le mur les ombres fragiles d’un matin sans forme. Il tourna la tête vers le réveil : 8 h 47. Déjà en retard. Pourtant, ce n’était pas le temps qu’il redouta, mais l’absence de bruits . Une absence absolue. Pas de moteur, pas de pas dans l’escalier, pas même le souffle du vent. Le monde semblait suspendu, vidé de son murmure. Depuis des années, ce tumulte quotidien l’étouffait. Les klaxons, les voix, les disputes du voisinage, le brouhaha continu de la ville , tout cela formait autour de lui une armure sonore dont il rêvait de se libérer. Combien de fois, dans la solitude de ses nuits, avait-il murmuré :  " Je donnerais n’importe quoi pour que tout se taise" . Ce matin-là, le vœu semblait exaucé. Il ouvrit la fenêtre : la rue dormait. Les arbres, figés. Les voitures, immobiles. Même la lumière semblait s’être arrêtée, hésitante. Un frisson le parcourut. Il enfila ses vêtements, de...

L ' image

La chaleur s’installait plus vite que jadis. La Martinique faisait elle aussi face aux défis climatiques. Avant même que le soleil ne s’élève, l’air vibrait d’une lourdeur que les anciens n’auraient jamais imaginée. Mon guide, un Préchotin aux gestes économes, avait insisté pour que nous partions avant l’aube, « avant que la chaleur ne se glisse dans nos os », avait-il dit. Nous marchions entre les champs de bananes, d’ananas et de canne à sucre, ce trio qui avait façonné le paysage et nourri les générations. Mais la terre y respirait de plus en plus fort, haletante, comme si elle cherchait encore à tenir debout malgré l’étouffement du climat. Le guide portait sur sa tête un bakoua, chapeau tressé aux larges bords, qu’il tapotait de temps en temps pour le maintenir en équilibre. Il m’expliqua qu’autrefois, ce simple couvre-chef servait à bien plus qu’à se protéger du soleil : — Le bakoua, c’est un rempart contre la nature quand elle se fait dangereuse. Tu peux même y arrêter la chute d...

L' aventure ne s' arrête pas là

Allumer la télévision, en 2026, est devenu un geste lourd de conséquences. Chaque bulletin d’information apportait son lot de drames : crises politiques, menaces de guerre, catastrophes environnementales… La peur semblait ronger la planète sans relâche. À La Guérinière, sur l’île de Noirmoutier, Guy vivait seul dans une modeste maison tournée vers la mer. À soixante-onze ans, il aimait encore marcher le long des dunes pour respirer. Sur un petit meuble, un cadre accueillait la photo de ses deux filles, enfants. Elles avaient pris leur envol depuis longtemps, avec des contacts espacés mais réconfortants, de temps à autre. Guy étouffa un soupir et éteignit la télévision. — Ils finiront par nous rendre fous avec leurs prédictions de malheur… Il enfila sa veste et sortit. Le vent marin, d’ordinaire apaisant, portait ce matin-là une tension mystérieuse. Il longea la plage, ses pas s’enfonçant dans le sable encore humide de la nuit. C’est alors que le ciel changea. Une lueur étrange, métalli...

Vous avez dit, Lutins

Souvent, l’hiver, au coin du feu, ma grand-mère me racontait des histoires. Je les adorais, même si elles me donnaient des frissons. Elle parlait de sorcières cachées dans les marais salants, de silhouettes errantes sur le passage du Gois… et surtout, de lutins. Ces petits êtres malicieux vivaient, selon elle, tout au bout de l’île de Noirmoutier, là où la mer protège ses secrets. Parmi toutes ses histoires, celle du rocher de L’Herbaudière me fascinait le plus. Elle affirmait que sous ce bloc de granit, battu sans répit par les vagues, se cachait la porte du monde des lutins. Elle disait les avoir vus, une nuit où la lune éclairait la côte comme un phare : de petites silhouettes dansant au bord de l’eau, rapides et joyeuses. Dans mon lit d’enfant, j’avais du mal à m’endormir après ça. Je retenais mon souffle, pensant qu’un lutin pourrait surgir de l’ombre. Les années ont passé. L’âge adulte m’a appris à ranger les mystères dans des boîtes fermées, à appeler « imagination » ce qui fais...

Crépuscule

Lorsque l’heure du crépuscule sonne dans une vie, tout s’apaise. Le tumulte des jours, les éclats de voix, les battements précipités du cœur , tout semble s’éloigner, comme si le monde, soudain, retenait sa respiration. Entre le jour qui s’éteint et la nuit qui s’annonce, il n’y a plus de certitude, seulement une brume où se mêlent la mémoire et le rêve. Je regarde en arrière. Il y a tant de pas derrière moi, tant de chemins empruntés, tant d’autres ignorés. Le passé s’étend comme une plaine silencieuse où chaque pierre porte le poids d’une décision. Ce qui a été fait ne peut plus être défait. Les heures, une fois vécues, se cristallisent en destin. Et moi, humble voyageur du temps, je me surprends à compter mes erreurs, à mesurer mes absences, à caresser du bout des doigts les cicatrices de ce que j’ai manqué. Le crépuscule, c’est ce moment où l’on comprend que le passé n’appartient plus à personne. Il devient un pays que nul ne peut visiter sans se perdre. On peut y revenir par la pe...

Sous le silence du Sahel

Le véhicule tout-terrain roulait à vive allure. Ici, les seules limitations de vitesse étaient celles imposées par les imperfections du désert. Le moteur vibrait comme un cœur mécanique, et la poussière dorée que nous laissions derrière nous s’étirait dans le ciel bas du crépuscule. Je faisais entièrement confiance à Ismaël, mon guide. C’était un homme du désert : sa peau burinée, son regard d’une profondeur tranquille semblaient faits de sable et de lumière. Il connaissait les replis des dunes comme d’autres connaissent les rues de leur enfance. Quand il me montra sa montre, je compris que l’heure du bivouac était venue. En quelques gestes, précis et silencieux, il dressa la tente, alluma un feu et posa une vieille bouilloire cabossée sur les braises. — Le thé, me dit-il, doit d’abord être amer pour réveiller l’âme, puis sucré pour l’adoucir. La nuit tombait vite. Le vent s’était tu, laissant au monde ce silence immense qui pèse sur le désert après le jour. Le sable refroidissait, et ...

Face à la mer

Face à la mer, la beauté du paysage s’imposait . Les vagues se succédaient, dociles et régulières, effaçant les traces laissées sur le sable. Autour, les silhouettes assises goûtaient le même spectacle, chacune dans son silence. Le temps semblait immobile, presque sacré. Puis tout bascula. D’abord, ce fut une vibration dans l’air, à peine perceptible, comme un bourdonnement lointain. Ensuite, le ciel, d’un bleu limpide, s’assombrit d’ombres mouvantes. Des objets volants surgirent à l’horizon, grandissant à mesure qu’ils approchaient. Leur formation géométrique trahissait une logique, une mécanique froide. Les regards se levèrent. L’étonnement glissa vers l’effroi. Ils survolèrent le petit port et, dans une précision implacable, ouvrirent leurs flancs. Des bombes chutèrent. La première frappa le quai : une explosion aveuglante pulvérisa pierres et corps. Le souffle brûlant projeta des silhouettes à terre. La mer se cabra comme frappée de plein fouet, ses vagues se retirant pour revenir ...

La spirale

Parfois, on rêve de fuir l’instant présent. On voudrait l’abandonner comme une peau trop lourde, se glisser ailleurs, n’importe où. Madeline, elle, y songeait souvent. Ses jours lui paraissaient ternes, ses nuits trop longues, et chaque matin recommençait avec la même fatigue. C’est une nuit de pluie que la brèche apparut. Sur le mur de sa chambre, une ombre se mit à tourner sur elle-même, comme un filament de fumée. Elle s’élargit, se replia, traça des cercles toujours plus profonds. Une spirale. Vivante. Elle battait comme un cœur. Madeline, hypnotisée, tendit la main. Et aussitôt, le mur se dissout. Elle flottait désormais dans un tunnel de lumière et d’ombre mêlées. La spirale l’enveloppait, la portait à travers ses anneaux. Et dans chacun s’ouvrait une fenêtre. Elle se vit rire dans un jardin éclatant de soleil. Plus loin, elle se découvrit vieille femme paisible au bord de la mer, un carnet posé sur ses genoux. Dans un autre cercle, elle était seule, errant dans une chambre grise...

Retour vers le passé

Guy, au fond de son lit, n’arrivait pas à trouver le sommeil. Les pensées se bousculaient dans sa tête, se chevauchaient sans répit, passant de la plus douce à la plus difficile. Les souvenirs de son enfance se mêlaient à ses regrets d’adulte, ses espoirs étouffés croisaient ses échecs. Chaque fois qu’il croyait apaiser son esprit, une nouvelle vague d’images revenait le hanter. Il tourna et retourna sous les draps, le regard fixé au plafond qu’il connaissait par cœur. Rien n’y faisait. Le sommeil, ce soir-là, s’obstinait à le fuir. Puis, soudain, la douce lumière de sa lampe de chevet changea d’intensité. Elle se mit à briller d’un éclat aveuglant, comme si une étoile entière s’était logée dans l’ampoule. Guy, surpris, ferma aussitôt les yeux pour se protéger. Quand il les rouvrit… tout avait changé. La chambre n’était plus la sienne. Le papier peint défraîchi avait disparu. À sa place, des murs clairs décorés d’affiches d’un autre temps : une vedette yéyé, une voiture aux lignes rond...

Brouillard

Personne ne l’avait vu arriver. Pas de nuages sombres, pas de grondement de tonnerre. Le brouillard s’était simplement glissé dans la rue au petit matin, mince voile translucide que l’on croyait éphémère. On l’avait trouvé presque charmant, d’une beauté étrange, donnant aux contours de la ville un aspect de rêve. Mais il n’avait pas disparu. Jour après jour, il épaississait son manteau. Les réverbères n’étaient plus que des halos imprécis, les silhouettes s’effaçaient à quelques mètres à peine. Même les sons semblaient s’y noyer, étouffés, avalés par une ouate lourde. Le silence devenait si dense qu’il paraissait solide. La ville s’était rétractée. Les habitants, d’abord intrigués, puis inquiets, ne sortaient plus qu’à contrecœur. Les commerces fermaient un à un. On ne se reconnaissait plus dans les rues : était-ce vraiment son voisin qui passait à quelques pas, ou une ombre trompeuse ? On se surprenait à frissonner devant des silhouettes banales. Puis vinrent les murmures. Certains di...

Effroi

La ville vivait dans la certitude de son calme. Les jours y suivaient un rythme régulier, rassurant, fait de gestes répétés, de rencontres familières, d’un quotidien qui paraissait inébranlable. Les images de guerre que montraient les écrans semblaient lointaines, presque irréelles. On les regardait comme on observe une tempête de l’autre côté d’une vitre : avec compassion, peut-être, mais sans crainte véritable. Et puis vint la nuit où tout bascula. À l’heure où les lumières s’éteignent, où les familles se replient dans leurs foyers, un grondement se fit entendre. D’abord discret, semblable à un orage. Mais il grossit, se transforma en rugissement, et bientôt les sirènes hurlèrent. C’était un son que personne n’avait jamais entendu ici. Le ciel s’illumina. Le souffle fut brutal. Le sol trembla comme s’il s’ouvrait. En un instant, la ville fut déchirée par plusieurs explosions. Les murs éclatèrent, les toits s’effondrèrent, les vitres se changèrent en éclats meurtriers. La nuit paisibl...

Le détour

Les bagages étaient prêts depuis l’aube. Guy, pourtant, traînait. Il ajustait les sangles des valises, vérifiait les fermetures éclair, comme si ces gestes anodins pouvaient retarder l’inévitable. Claire l’attendait près du coffre. Immobile, les bras croisés, elle observait la route avec un calme étrange. — On y va ? demanda-t-elle. Il hocha la tête. Le moteur démarra et, bientôt, le village disparut derrière eux. Les champs, les haies, les bosquets défilaient, familiers. Puis les panneaux changèrent. Les noms lui étaient inconnus : Bois du Silence, Ravin des Ombres, Col des Murmures. — On ne prend pas la bonne route, dit-il. — C’est la bonne, répondit simplement Claire. Il ne répliqua pas. Peut-être avait-elle trouvé un raccourci. Mais la route semblait se rétrécir, les arbres se courber vers eux, leurs branches figées malgré le vent. Les couleurs du paysage paraissaient plus vives, presque artificielles. Sur le GPS, plus aucun nom, juste des coordonnées défilant trop vite. La route s...

Les chemins de la vie

Assis sur le banc du jardin, je laissais le soleil couchant glisser sur mon visage comme une caresse d’adieu. L’air portait l’odeur des feuilles mortes, parfum discret qui rappelle que tout finit un jour. Dans ces moments où la lumière baisse et où le silence s’épaissit, la question revenait, inévitable : Comment aurait été ma vie, si j’avais fait les choses autrement ? J’avais vécu… oui. Mais avais-je vraiment vécu la vie que j’avais souhaitée ? Les souvenirs défilaient comme un vieux film aux images tremblantes : la main que je n’avais pas osé retenir, la lettre restée inachevée, l’occasion laissée filer par crainte ou par lassitude. Chaque choix avait tracé un chemin, et je l’avais suivi sans me retourner. Ce soir-là pourtant, quelque chose troubla la quiétude du jardin. Une lueur apparut derrière le vieux pommier, faible d’abord, puis plus vive, comme un souffle qui palpite dans l’ombre. Intrigué, je me suis approché. Là, flottant à quelques centimètres du sol, se dressait une form...

Le dernier voile

On pense vivre dans un monde ordonné. Un monde mesuré, balisé, rationnel. Chaque chose à sa place. Le vent souffle, la pluie tombe, les feuilles jaunissent. On traverse les saisons comme on traverse la rue sans y penser vraiment. Mais il ne s'agit que d’un décor. Un décor fragile, tendu comme une couverture sur un homme se reposant. Parfois, une faille s’ouvre. Elle peut ressembler à un reflet qui persiste un peu trop longtemps dans une vitre. À une silhouette qui ne produit aucune ombre. À un bruit qui vient d’un endroit sans matière. Ce sont des fissures, des effritements dans la grande illusion collective. Des signes que le vernis du réel craque. L’un de ces instants arriva un matin gris, comme les autres. Il y eut un silence anormal, une suspension de tout. Et soudain, un regard. Pas humain. Pas animal. Un regard qui perça le voile. Il ne jugeait pas. Il constatait. Comme si quelque chose derrière les apparences reprenait conscience de notre existence. Ce jour-là, l’équilibre b...

Les grandes orgues

Écouter cette musique magnifique était pour moi une récompense. Une parenthèse. J’aimais ce moment si particulier, où la cathédrale s’était vidée de ses visiteurs et où ne restait que moi, ou presque. Je m’installais toujours au même endroit, dans la pénombre des derniers rayons, et j’attendais que les grandes orgues s’élèvent. L’acoustique du lieu faisait vibrer l’air autour de moi. Chaque note semblait me traverser, chaque accord me plongeait plus loin dans la mélodie. C’était une musique qui ne venait pas seulement de l’instrument : elle venait des murs, de la pierre, du bois ancien, comme si la cathédrale elle-même chantait. J’étais au cœur du son, et parfois, j’oubliais jusqu’à ma propre respiration. L’organiste enchaînait les accords avec une fluidité presque irréelle. On aurait dit que ses mains ne touchaient plus les touches, mais les effleuraient à peine, comme s’il les devinait. Il ne regardait pas sa partition. Il fermait les yeux. Il écoutait ce qu’il allait jouer, avant mê...

Le voyageur du Gois

Comme souvent le matin, j’aimais bien assister aux spectacles que m’offrait cette caméra installée face au passage du Gois. Depuis mon appartement en ville, bien loin de l’Atlantique, je lançais le flux sur mon écran, un café fumant à la main, et je me laissais absorber par l’image. Le mouvement semi-circulaire de la caméra, qui balayait lentement le paysage, me faisait rêver. À chaque rotation, elle captait la courbe du passage qui s’étirait vers l’horizon, entre terre et mer. Parfois, il était recouvert d’eau, invisible sous les reflets d’argent. D’autres fois, comme ce matin-là, il se découvrait, luisant sous la lumière dorée, presque désert. Ce panorama avait quelque chose d’ensorcelant. Une beauté calme, à la limite de l’irréel. Mais il ne s’agissait que d’une image, un pixel loin de moi, une échappée virtuelle. Pourtant, ce matin-là, quelque chose changea. Je me surpris à murmurer à voix haute, comme une incantation : « Si seulement je pouvais être dans l’image… » Aussitôt, un fr...

Mes pas dans ses pas

Le moment tant attendu était enfin arrivé. Ce matin-là, mon grand-père posa une main sur mon épaule. Il ne dit presque rien, juste quelques mots que je n’ai jamais oubliés : — Viens. Aujourd’hui, c’est le grand jour ! J’avais dix ans, les joues encore rondes, les rêves trop larges pour ma tête. Mais à ses côtés, dans cette lumière d’aube pâle, je me sentais différent, plus grand. Invulnérable. Nous enfilâmes nos chaussures en plastique, usées et souples, tachées de boue ancienne. À peine chaussé, j’eus l’impression d’avoir mis les bottes d’un chevalier. Nous étions prêts. Dès les premiers pas, je sentis que le monde changeait. Ce n’était plus simplement le sentier habituel qui serpentait entre les haies de ronces et les roseaux. C’était un passage. Un couloir secret entre le monde des hommes et un autre, plus ancien, plus vaste. L’air lui-même semblait différent, plus dense, chargé de sel et de silence. Les buissons frissonnaient comme s’ils retenaient leur souffle à notre passage. Mon...