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Affichage des articles associés au libellé Romance

Le café du matin

Les jours peuvent paraître insipides. On se lève le matin, on effectue les mêmes gestes que la veille. Les automatismes font que les choses se passent bien, sans éclat, sans surprise. Guy vivait ainsi, tranquille et invisible, dans le monotonie paisible d’une vie sans heurts. Novembre avait étendu sur la ville son manteau de brume. L’air sentait le bois humide et les feuilles mortes. Le vent faisait danser les parapluies, les passants se hâtaient, les réverbères s’allumaient trop tôt. Guy aimait cette période de l’année. Le monde semblait marcher plus lentement, comme lui. Chaque matin, il descendait de chez lui, le col relevé, les mains au fond des poches, et s’arrêtait au petit café du coin. Un lieu simple, un peu usé, mais rassurant , avec sa lumière dorée, ses odeurs de croissant chaud et de café fraîchement moulu. Guy s’y installait toujours à la même place, près de la vitre, d’où il pouvait observer le ballet du dehors sans y prendre part. Il était de ces hommes que l’on croise s...

L' escalier

La route pour me rendre à mon domicile me semblait plus longue que d’habitude. Peut-être avais-je, sans m’en rendre compte, levé le pied de l’accélérateur. La nouvelle dont j’étais porteur pesait sur mes épaules : c’était ma dernière journée de travail. L’entreprise fermait ses portes, et le chômage venait, cette fois, frapper à la mienne. Je venais de terminer une ultime tournée. Le hasard avait voulu que je livre des cartons de chocolat , douce ironie , quand la vie, elle, avait un goût amer. C’était un matin gris, de ceux où la lumière se fait timide, où l’air semble hésiter entre la pluie et la brume. L’adresse indiquée me mena dans une rue encombrée de voitures. Devant un bâtiment aux murs clairs, une enseigne discrète signalait le nom d’une entreprise. Je sonnai, et une voix claire et posée répondit : — Vous pouvez monter, c’est à l’étage ! Un petit escalier en bois se dressait sur la gauche. Les marches craquaient doucement sous mon pas, comme si elles me saluaient au passage. L...

Comme un oiseau sans ailes

Avant, Louis vivait pour la course. Pas seulement pour les médailles qui scintillaient autour de son cou ou les hymnes qui vibraient sous les projecteurs. Non… Il courait pour ce moment suspendu où ses pieds ne touchaient presque plus le sol, où l’air devenait son compagnon le plus fidèle. Il courait pour la sensation d’être un peu au-dessus du monde. Les journaux titraient son nom, les enfants voulaient sa photo, et les stades enflaient de clameurs à son passage. Il était jeune, fort, promis à une carrière longue et brillante. Rien ne semblait pouvoir arrêter l’homme qui courait plus vite que son ombre. Pourtant, il suffit d’un instant. Une route mouillée, une voiture qui dérape, un choc brutal. Et le silence. Quand Louis rouvrit les yeux à l’hôpital, le plafond blanc l’accueillit avec une vérité froide : son corps ne répondait plus comme avant. Une tétraplégie partielle. Un mot qui tomba sur lui comme une sentence. Les médecins parlèrent de rééducation. Les proches parlèrent de coura...

Un tour d'horloge

Il s’était réveillé plus tôt que d’habitude. Le calendrier, posé de travers sur la table de nuit, lui rappelait que la journée aurait un goût particulier. Une année de plus. Une de celles qu’il ne compte plus vraiment, mais qu’il accueille désormais avec la discrétion des choses simples. Il s’assit au bord du lit et inspira doucement. Le silence de la maison avait la délicatesse d’un linge propre. Pas de fanfare, pas de gâteau. Seulement la lumière d’un matin sage glissant entre les rideaux. Son téléphone vibra plusieurs fois au fil de la journée. Des messages parfois maladroits, souvent chaleureux. Des mots courts, comme si chacun craignait d’en dire trop. Il les lut sans répondre immédiatement. Il préférait les laisser infuser, leur donner le temps de trouver en lui la bonne place. Puis, avec une lenteur voulue, il répondit à chacun. Un remerciement sincère, dépouillé de toute emphase. Au détour d’un nom oublié, d’une absence remarquée, il sentit une pointe brève dans la poitrine. Ri...

Le Mimosa

Les matins se suivaient, comme les marées sur le port du Bonhomme , à la Guérinière. Toujours le même roulis des brouettes, les bottes qui s’enfoncent dans la vase, les cris des goélands au-dessus des poches d’huîtres. Et moi, derrière la mienne, le dos penché, je pensais à Élise. Je m’appelle Pierre, je suis ostréiculteur. Ce métier, je ne l’ai pas choisi par hasard : il y a là, dans ce dialogue silencieux avec la mer, quelque chose de vivant, de sincère. Les huîtres sont mes compagnes fidèles , elles respirent, s’ouvrent à la lumière, se referment à la moindre ombre. Je les sens palpiter sous mes doigts quand je les retourne. Elles dorment, grandissent, boivent la mer et la restituent en sel et en douceur. Elles sont comme moi : discrètes, enracinées, patientes. Le port du Bonhomme, c’est notre petit monde. Une poignée d’hommes, des cabanes à huîtres où l’odeur du varech se mêle à celle du café, des voix rudes et sincères. Les saisons y passent comme les marées, et pourtant, chaque j...

Un seul mot

Dans le monde, il y a énormément de belles choses. Elles ne se voient pas toujours, mais elles existent, discrètes, tenaces, comme des fleurs dans les interstices du béton. Il y a les rires d’enfants qui résonnent dans les cours d’école, la douceur d’un matin d’hiver quand la lumière se glisse entre les rideaux, la chaleur d’une tasse partagée, le souffle de la mer qui rappelle que tout respire encore. Il y a les gestes simples : une main tendue, une porte qu’on retient pour un inconnu, un mot de réconfort laissé dans un murmure. Et ces instants suspendus, infimes mais essentiels, où l’humanité se souvient d’elle-même. Mais il y a aussi l’autre côté. Celui qu’on préfère ne pas regarder trop longtemps. Les rues où la peur rôde, les voix qui s’élèvent pour juger, les cœurs qui se ferment. Il y a les guerres lointaines et les haines proches, les écrans qui propagent la violence, les regards qui se détournent par lassitude ou par honte. Les hommes et les femmes qui se croisent sans plus se...

Une île dans l'océan

Il est des jours où la grisaille s’invite jusque dans l’âme. Les rues semblent plus étroites, les regards plus lointains, les heures plus lentes. Alors, pour respirer, je ferme les yeux. Et je revois la lumière. Celle de l’île des Pins. C’était un lieu hors du monde. Une parenthèse suspendue entre ciel et mer, comme si le temps s’était arrêté avant de nous rejoindre. Tout y paraissait plus pur, plus simple. Le sable pâle, le parfum des pins, la mer immobile qui retenait son souffle. Et toi, au milieu de cette clarté, comme un point d’équilibre dans un univers incertain. Je ne sais plus comment tout a commencé. Peut-être par un mot anodin, un regard échangé, une de ces rencontres que le hasard feint d’improviser alors qu’il les écrit depuis toujours. Tu étais là, et tout s’est apaisé. Ta voix, douce comme un soir d’été. Ton sourire, léger et sincère. Il y avait dans ta façon d’exister quelque chose d’évident, de rare. Une bonté simple, sans éclat, mais qui réchauffait tout ce qu’elle to...

La mer de tous les espoirs

Le vent soufflait en rafales sur la mer. Les vagues s’écrasaient contre la jetée de La Guérinière, soulevant des gerbes d’écume blanche. Petit Jean, le dos voûté, levait ses filets malgré la houle qui secouait son bateau, Le Marie-Louise. Ses mains calleuses tiraient les cordages avec la force tranquille de ceux qui n’ont pas le choix. Il fallait pêcher, encore et toujours, pour nourrir sa mère et sa sœur Lise, dans la petite maison aux volets bleus, nichée derrière les dunes. Depuis l’aube, le ciel restait bas, chargé d’un gris profond. Petit Jean connaissait ces humeurs du large. La mer, il la respectait comme on respecte une vieille amie capricieuse. Mais ce matin-là, quelque chose troubla le cours de ses gestes. Dans les mailles du dernier filet, il trouva un morceau de tissu bleu, trempé d’eau salée. En le dépliant, il lut un prénom brodé à la main : Élise. Le souffle lui manqua. Ce nom appartenait à un autre temps. Élise, la fille du pays, qu’il avait aimée avant qu’elle ne parte...

Le relai

Ce jour-là, une pluie fine tombait sur le bourg, comme un voile discret posé sur les toits et les ruelles. Les gouttes glissaient le long des vitres, rythmaient doucement l’air d’une musique intime. Nous étions deux amis réunis pour un déjeuner au Louis XIII, ce vieux relai dont la façade blanche brillait sous l’humidité. À l’intérieur, la chaleur du lieu contrastait avec la grisaille de dehors. L’odeur du pain chaud et du bois ciré nous enveloppa, et bientôt nous prîmes place à une table, heureux de retrouver le confort simple d’un repas partagé. Pourtant, au-dessus de nos têtes, les lourdes poutres sombres attirèrent aussitôt nos regards. Elles semblaient habitées d’une mémoire plus vaste que la salle elle-même. L’hôtesse, attentive, devina notre curiosité. Elle s’approcha, leva doucement la main et montra le plafond. — Ces poutres, murmura-t-elle, viennent de loin. Jadis, elles appartenaient à un navire corsaire. Elles ont senti la mer gronder, elles ont porté des voiles battues par...

Le chemin

Lorsque l’on part sur le chemin de l’école, à La Guérinière, insouciant comme seul un enfant peut l’être, on ne s’imagine pas ce que peut être demain. Le vent, souvent, accompagne la marche. Il se glisse dans les cheveux, soulève les feuilles de varech échouées sur le sable, porte avec lui des odeurs de sel et d’océan. On avance sans hâte, le cartable au dos, les yeux happés par les dunes qui bordent la route, par l’éclat du soleil qui se reflète sur l’Atlantique. Ce chemin-là, je le revois encore. Il partait du cœur du village, serpentait entre les petites maisons blanches aux volets bleus, puis s’ouvrait soudain vers la mer. Le matin, la lumière baignait tout d’une clarté laiteuse, comme si chaque pas me conduisait vers un monde encore endormi. J’y marchais sans comprendre que, déjà, je construisais mes souvenirs. À cet âge, on croit que l’école est le but, que le présent suffit à remplir la journée. On ne sait pas encore que demain, ce demain invisible, se prépare dans chaque instan...

Le Gois des retrouvailles

La destinée avait tracé ses lignes imprévisibles, et mes pas m’avaient éloigné de toi. Était-ce une fuite, une nécessité, ou simplement l’orgueil de croire qu’on peut vivre sans ce qui nous est vital ? J’avais cru, un temps, que m’éloigner de toi serait salutaire. Mais très vite, ton absence s’est muée en blessure. Chaque jour, ton souvenir revenait, obstiné, parfois doux comme une caresse, parfois brûlant comme un reproche. Je t’entendais dans le silence des soirs, je te voyais dans mes songes, et ton nom, que je n’osais prononcer à voix haute, brûlait mes lèvres. — Pourquoi es-tu restée si présente en moi ? demandais-je au vent, comme si tu pouvais l’entendre. Le vent, lui, ne répondait pas. Mais je savais qu’au-delà des kilomètres, tu respirais encore. Et puis, ce matin, j’ai décidé de revenir. Comme on revient à une promesse qu’on n’a jamais tenue. Mon cœur battait comme à la veille d’une déclaration, mes mains tremblaient sur le volant. J’avais peur et j’avais hâte, à la fois. La ...

Symbiose au couchant

Le soleil s’inclinait doucement vers la mer, comme un voyageur fatigué retrouvant son port d’attache. Le ciel, en feu, se fissurait de nuances d’orange et de pourpre, et les vagues, patientes, se teintaient d’or. Le feu et l’eau, si différents, devenaient pourtant un seul et même souffle : celui d’une symbiose fragile mais éclatante. Sur le rivage, Dédé et Ferdinand regardaient ce spectacle. Deux silhouettes immobiles, côte à côte, mais deux vies que tout semblait opposer. Dédé, ancien militaire, avait appris à marcher droit, à obéir aux règles, à tenir son rang sans fléchir. Sa carrière avait suivi des lignes nettes : la rigueur de l’uniforme, puis, plus tard, la régularité rassurante de la distribution automatique. Les machines, avec leur logique précise et leurs gestes répétitifs, avaient prolongé la discipline qu’il connaissait déjà. La stabilité, voilà ce que Dédé avait cherché après les marches et les missions. Ferdinand, lui, avait connu une route bien plus accidentée. Sa vie ét...

Ne pas oublier

Où que nos pas nous mènent, il y a toujours ce souffle invisible qui nous rattrape. Le vent. Pas seulement celui qui gifle le visage ou couche les arbres, mais ce vent plus intime, presque secret, qui se glisse dans la mémoire et ramène, comme des graines, les images de l’enfance. À Yutz, dans le Grand Est, où Guy s’était installé, l’air portait d’autres parfums : la Moselle qui longe la ville, les forêts voisines, les saisons marquées. Mais parfois, au détour d’une rue, une brise venue de nulle part lui caressait le visage. Alors, dans ce souffle, il retrouvait le goût du sel sur ses lèvres, l’odeur des marais salants et le cri des mouettes. Noirmoutier surgissait, entière, depuis le plus profond de sa mémoire. Il revoyait les digues chauffées par le soleil, les pins maritimes qui ployaient sous la poussée du vent d’ouest, et leurs cerfs-volants colorés qui s’élançaient vers le ciel. Chaque bourrasque lui rappelait la promesse de liberté qu’il ressentait enfant, les yeux fixés sur l’h...

L' attente

Il vivait seul, dans un appartement ordinaire, au cœur d’une ville sans horizon. Ses journées s’écoulaient dans une monotonie sans relief, rythmées par de petits rituels : préparer un café tiède, ranger quelques papiers, puis s’asseoir dans son fauteuil, face à l’écran qui l’accompagnait plus fidèlement que quiconque. Ce n’était pas une chaîne habituelle qu’il regardait. La télévision diffusait, en continu, l’image fixe et mouvante d’une webcam : le passage du Gois, cette route submersible qui relie le continent à l’île de Noirmoutier. Il n’était pas de là-bas, n’y avait jamais vécu, et pourtant ce lieu l’obsédait. Le flux des marées, l’eau qui recouvrait puis libérait le passage, les silhouettes furtives des voitures et des cyclistes, tout cela le fascinait. Il pouvait passer des heures à contempler ce théâtre minéral et aquatique, comme si chaque marée lui promettait une révélation. La nuit, ses rêves prolongeaient la vision. Le pays des songes devenait le pays du vent et du sel. Il ...

Cœurs Vendéens , le mur

L’exode avait été brutal. En Moselle, les ordres allemands tombaient comme des coups de hache. Quitter sa maison, abandonner son travail, tout laisser derrière soi pour aller ailleurs”. Ferdinand se souvenait encore du jour du départ : des charrettes pleines d’affaires mal ficelées, des enfants accrochés aux jupes de leurs mamans , des hommes qui détournaient le regard pour ne pas pleurer. Lui, fils de mineur, n’avait emporté que le strict nécessaire : quelques vêtements, un vieux couteau, une carte de France chiffonnée. Sur ce morceau de papier, un nom lui était resté en tête : Noirmoutier. Après des jours d’errance, il posa enfin le pied sur l’île. L’air y avait un goût de sel, presque piquant, qui lui brûla la gorge et le fit tousser. Mais ce n’était pas la poussière noire des mines : c’était une brûlure vivante, celle de la mer. Il respira profondément. Ici, pensa-t-il, il pouvait recommencer. Et ce fut vrai, du moins pour un temps. Sa rencontre avec Madeleine, une jeune femme des ...

Le caillou

Seul, face à l’océan, je laissais mes pensées s’envoler comme des oiseaux marins, libres de se perdre dans l’horizon. Devant moi, le Pacifique déployait ses forces, agité, bruyant, presque furieux. Il portait bien mal son nom aujourd’hui. Rien de pacifique dans ses grondements, rien d’apaisé dans ses vagues qui se brisaient contre la barrière de corail, immense et fragile à la fois. La Nouvelle-Calédonie… Ce « gros caillou » m’avait donné tant de visages, tant de paysages. Je n’oublierai jamais la baie des Citrons, où les soirs s’embrasent de lumières et de rires, ni l’Anse Vata, miroir mouvant des cerfs-volants dans le ciel. Le Cœur de Voh, vu d’en haut, m’avait un jour coupé le souffle, comme si la terre elle-même m’offrait une déclaration d’amour gravée dans son écrin de mangroves. Sur l’île des Pins, j’avais marché entre les pins colonnaires, gardiens immobiles dressés vers le ciel, tandis que l’eau translucide me rappelait qu’il existait des paradis encore préservés. Et plus loin,...

Cœurs Vendéens , l' éxécution

Lentement, le soleil se couchait derrière les tours du château de Noirmoutier. Une lumière rousse glissait le long des vieilles pierres, caressant les toits du bourg et les pavés de la place d’armes. Dans les profondeurs du donjon, nous attendions. Enchaînés, meurtris, amaigris. Mes compagnons de misère et moi savions que l’aube serait la dernière. Nous étions le 3 janvier 1794. Demain, on nous exécuterait devant les murs mêmes de cette forteresse qui, jadis, protégeait l’île des pirates et des tempêtes. Moi, je m’appelle Alphonse. J’ai vu le jour à Barbâtre, entre les dunes et les marais. Mon père extrayait le sel, ma mère ramendait les filets avec les épouses des autres pêcheurs sur le port. Quand la guerre a déchiré la Vendée, j’ai pris les armes. Par fidélité. Par instinct. J’ai marché sous la bannière blanche, avec les gars de l’île, et j’ai combattu jusqu’à Noirmoutier. Jusqu’à cette geôle. Mais ce soir, dans cette cellule froide où l’air sent l’algue et la rouille, je ne pense n...

Cœurs Vendéens , le coquillage

Vingt années avaient passé depuis l’hiver sanglant de 1794. La mémoire des guerres s’était estompée, mais dans certaines veines, les plaies demeurent ouvertes. Alphonse, lui, portait toujours au fond de sa poitrine ce vide que ni les saisons ni les voyages n’avaient comblé. Il avait fui Noirmoutier par une nuit d’embruns, serrant contre lui le petit coquillage en forme de cœur, cadeau d’Élise. Sous les filets trempés de la barque de Pierre, il avait senti chaque battement de son cœur résonner comme un glas. L’île s’était éloignée dans la brume, et avec elle l’image de son amour perdu. Exilé d’abord à Nantes, puis à Bordeaux, il s’était fait marin de fortune. Les ports du Portugal, de l’Angleterre et des colonies lui avaient offert du pain, du travail, parfois même un semblant de fraternité. Mais jamais l’oubli. Chaque fois que sa main effleurait le coquillage, le visage d’Élise renaissait dans ses songes. En ce printemps 1814, alors que la France vacillait entre Empire déchu et retour ...

Cœurs Vendéens , la résistance

Printemps 1816. Sur l’île de Noirmoutier, les marais salants brillaient sous le soleil. Les pêcheurs ramendaient leurs filets sur le port de l’Herbaudière, les paysans guidaient leurs bœufs entre les champs de seigle et de blé noir. Mais derrière ce tableau de quiétude, la mémoire demeurait vive. Vingt ans plus tôt, l’île avait été marquée par le sang et le feu. Chacun se souvenait encore du général d’Elbée, fusillé sur la place, des églises incendiées, des familles dispersées par la fureur des colonnes infernales. Et même si le Roi était revenu sur son trône, la paix restait fragile. La France sortait à peine de la tourmente des Cent-Jours, et des agents bonapartistes rôdaient encore, prêts à rallumer la flamme des révoltes. Alphonse et Élise, eux, approchaient de la cinquantaine. Ils s’étaient retrouvés après tant d’années de séparation, marqués par les deuils et les privations. Leur amour, pourtant, n’avait pas faibli ; il s’était au contraire affermi. Ce printemps-là, ils décidèren...

La symphonie des marées

Comme un orchestre qui accorde ses instruments avant la première note, tout se préparait dans un silence rythmé. Le vent posait ses doigts sur les cordes du large, les coques des bateaux vibraient à peine, les bottes glissaient sur le quai dans un frottement feutré. Les voix étaient basses, les gestes précis. Chacun à sa place, comme un musicien dans la fosse. La marée allait baisser, et avec elle, la partition du jour commencerait. Les saisons passaient ici sans faire de bruit. On ne les sentait pas comme en ville, où les vitrines changent, où les horaires s’allongent à l’approche de Noël. Ici, c’est la mer qui décide. Les marées dictent nos journées, comme une horloge étrange qui avance et recule deux fois par jour. Depuis quelques mois, je fais partie de l’équipe. Pas à temps plein, je suis encore au lycée, mais dès que je peux, je viens. J’y trouve quelque chose que je ne trouve nulle part ailleurs. Et aujourd’hui, c’était une marée d’après-midi. Ma préférée. On mange à midi, on di...