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Affichage des articles associés au libellé Romance

Azad

Le matin avait commencé comme les autres. Un ciel pâle, comme délavé par la poussière et le soleil. Azad marchait seul sur le chemin sec, une route de terre battue qui serpentait entre des collines pelées. Il n’attendait personne. Il ne fuyait rien non plus. À douze ans à peine, il avait déjà appris que le monde ne vous devait rien, surtout pas des explications. Il avait dormi sous un mûrier mort, mangé un quignon de pain trouvé la veille dans une maison vide, et repris sa marche. Il connaissait ce chemin : il menait vers les restes d’un ancien village, partiellement effacé par les combats. Il y retournait parfois, ramassait des objets, cherchait de quoi manger. C’était une routine, presque rassurante. Et puis, il y eut ce grondement. Un bruit lointain, au début. Mais profond. Différent. Azad leva la tête, plissant les yeux vers le ciel éclatant de lumière. Il ne vit rien. Mais le son persistait, sourd, comme si quelque chose d’énorme flottait derrière l’horizon. Il s’arrêta, tendit l’...

Un été à la Guérinière

Le 4 juillet 1943, le grondement des moteurs secoua le ciel au-dessus de la Vendée. Une escadrille de B-17, les célèbres “Flying Fortress” de l’US Air Force, fonçait vers son objectif : l’aérodrome de Château-Bougon, près de Nantes. Les bombes tombaient, l’acier chantait la guerre. L’un des appareils, touché à l’aile gauche par la défense allemande, entame une longue agonie. Le lieutenant Wilson, pilote du B-17, tenta de maintenir son cap. Deux chasseurs ennemis s’étaient lancés à sa poursuite. Il savait que l’avion ne tiendrait pas jusqu’à l’Angleterre. Il décide alors de mettre le cap vers la mer. Quelques minutes plus tard, au bord de l’île de Noirmoutier, les habitants du village de La Guérinière virent une silhouette argentée déchirer le ciel. L’avion, boitant comme un oiseau blessé, descendait dangereusement. À marée basse, la plage offrait une étendue de sable humide, une piste d’atterrissage improvisée. Dans un fracas d’écume, l’appareil toucha terre, glissa, puis s’immobilisa,...

Infinie mélodie

Le cahier repose sur mes genoux, ouvert, vierge. Le crayon attend. Moi aussi. Je suis venu ici sans idée précise. Juste l’envie de m’asseoir face à la mer et d’écouter. Parce que parfois, quand je n’ai plus les mots, c’est la musique qui me parle. Le souffle du vent est le premier à me rejoindre. Il glisse sur ma joue comme une main amie. Il ne dit rien de clair, juste une présence. Un frisson. Peut-être une promesse. Alors je trace un trait, une ligne simple. Une note posée, comme une voix qui commence à chanter, doucement. La mer s’approche, discrète. Elle avance, recule, avance encore, comme si elle n’osait pas me déranger. Pourtant, c’est elle qui me guide. Elle me donne le rythme. Pas une cadence rigide, non. Plutôt un balancement naturel, comme celui d’un cœur apaisé. Elle me rappelle que tout revient, que rien ne reste figé. Qu’une mélodie peut naître d’un seul souffle répété. Je note. Des sons lents, espacés. Comme des pas sur le sable. Le cri d’un oiseau traverse le ciel. Il f...

Sans retour

Assis sur le rocher, je pouvais constater la catastrophe. Nous avions accompli la mission. Les procédures avaient été respectées. Les charges posées, le compte à rebours enclenché. Les ordres, suivis à la lettre. Et pourtant, quelque chose s’était brisé en chemin. Le souffle de l’explosion avait tout balayé. Il ne restait plus rien, sinon cette colonne de fumée noire qui montait lentement dans le ciel, comme un reproche silencieux. Une forme massive, mouvante, presque majestueuse , trop belle pour être juste de la mort. Autour de moi, le sol était jonché de métal tordu, de restes indistincts. Mes companions… Je ne savais même pas où ils étaient tombés. Peut-être plus loin, happés par le souffle. Peut-être réduits à rien. Je ne ressentais rien. Ni douleur, ni soulagement. Juste ce froid, intérieur, qui s’installe quand tout ce qu’on croyait solide se dissout. On nous avait dit que c’était nécessaire. Que ce qui reposait là-bas ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Que c’était u...

Papa m'a dit

Papa ne dit jamais "je t’aime". Il dit : — Mets ton pull. — Ne parle pas pour ne rien dire. — Tiens-toi droite. Il ne crie pas. Il ajuste. Il rectifie. Il remet en place , les objets, les horaires, les voix trop vives. Quand on est partis,il a ouvert la porte. Il a dit : — Faites ce qu’il faut. Et il est resté là, les bras ballants, comme s’il s’attendait à autre chose. Mais personne n’est revenu. Ni nous, ni elle. Chez lui, tout était silencieux. L’air y était plus froid. Plus sec. On y allait parfois pendant les vacances scolaires,comme un devoir qu’on ne comprend pas mais qu’on accomplit. Il disait : — On mangera à vingt heures. — Les chaussures restent dans l’entrée. — Ne gaspille pas l’eau chaude. Il y avait toujours un couteau à la bonne place, une serviette pliée sans faux pli. Le pain était découpé en tranches égales. Tout semblait rangé, sauf nous. Ma soeur posait des questions. — Pourquoi il nous regarde comme s’il attendait quelque chose ? — Est-ce qu’il est triste...

L'enfant et la Lumière

Les enfants pauvres, comme moi, erraient souvent dans les rues de Jérusalem. Ce jour-là n’avait rien d’exceptionnel. Le soleil frappait les murs de la ville d’une chaleur lourde. Les marchands criaient sur les places, les mendiants tendaient la main, les soldats passaient l’air fatigué. Moi, pieds nus dans une ruelle, je cherchais quelque chose à manger. Depuis des jours, la ville chuchotait. On parlait d’un prophète exécuté, d’un tombeau vide, de ses disciples cachés. On disait qu’un grand miracle allait venir. Mais ces paroles glissaient sur moi comme de l'eau sur la pierre. J’avais plus faim de pain que de promesses. Ce matin-là pourtant, un étrange frisson courait dans l’air. En approchant d’une maison du vieux quartier, je sentis quelque chose changer. Ce n’était ni le vent, ni le bruit des rues. C’était plus profond, comme un souffle invisible. Je me faufilai dans une étroite venelle, cherchant un coin d’ombre. Là, contre un mur chaud, je m’accroupis. Une fenêtre au-dessus de...

La fleur

Le petit garçon avançait seul sur le chemin de terre, les chaussures pleines de poussière, les pensées lourdes. Il ne courait pas, ne sifflait pas, ne jouait pas. Il marchait comme on traverse un rêve un peu triste, sans trop savoir où aller, sans trop savoir pourquoi. Le vent de mai soufflait doucement dans les branches. C'était un jour ordinaire, ni trop froid ni trop chaud, un de ces jours qui passent comme les autres quand on ne les attend pas. Autour de lui, la campagne s'étendait, calme et silencieuse. Seul le froissement des feuilles et le chant lointain d’un merle accompagnaient ses pas. Il pensait à sa maman. Elle n’était plus là. Depuis quand ? Il ne comptait plus les jours. Il savait seulement que le matin, quand il se réveillait, le monde avait perdu quelque chose. Comme si une lumière s’était éteinte pour toujours. Il n’avait pas pleuré aujourd’hui. Pas encore. Les larmes viennent parfois sans prévenir, mais aujourd’hui elles restaient loin, comme timides. Alors qu...

Le repas

Le père, assis en bout de table, régnait sur sa petite cour. Le dos droit, les mains posées de part et d’autre de son assiette, il scrutait d’un œil froid les moindres gestes de ses convives. Son épouse, Marianne, servait en silence. À ses côtés, les deux filles, Claire et Lucie, baissaient la tête, les yeux rivés à leur assiette. Elles savaient qu’un mot de travers pouvait faire basculer l’atmosphère. Il n’avait jamais eu besoin de hausser le ton. Un froncement de sourcil suffisait. Le silence pesait, coupé seulement par le tintement des couverts et les bruits feutrés de mastication. Le rôti était sec, comme souvent. Mais personne ne s’en plaignait. — Lucie, ton coude. Redresse-toi. La cadette obéit aussitôt. Claire, l’aînée, serra les dents. Chaque repas était une scène répétée, une liturgie morose où le moindre écart était puni d’un reproche, d’un regard, d’un soupir lourd de menace. Marianne servit le gratin, les mains tremblantes. — Il manque de sel, dit-il. Comme d’habitude. Elle...

Le piano

Les voyageurs allaient et venaient à toute allure dans la gare. Comme un essaim d’abeilles, ils convergeaient tous vers les mêmes points : les quais, les trains, les correspondances. C’était un ballet désordonné et pourtant parfaitement rodé, une mécanique humaine nourrie par l’urgence, les horaires, les adieux. Moi, j’étais immobile. Assis sur un banc en bois, usé par d’innombrables attentes, je regardais sans vraiment voir. Le monde se déroulait autour de moi comme un film muet. Les visages, les silhouettes pressées, les annonces crachées dans les haut-parleurs, tout glissait sans accroche. Sauf une chose. Un piano. Droit, noir, magnifique. Installé là, en plein cœur de ce halle de gare, comme un vestige absurde d’un autre temps, ou un cadeau tombé du ciel. Il semblait à la fois déplacé et absolument à sa place. Il captait la lumière au travers des verrières, et brillait comme un secret que seuls quelques-uns savaient entendre. Depuis que je m’étais assis, je n’avais d’yeux que pour ...

Le petit homme solitaire

Chaque matin, à l’aube, il descendait les marches de son immeuble, ajustait mal son col, tirait sur les manches de son vieux manteau gris, et partait à petits pas vers la station de métro . Son costume, toujours un peu froissé, témoignait d’une vie modeste, sans éclat. Il s’appelait Monsieur Léon. Dans son quartier, on le saluait d’un hochement de tête, mais personne ne connaissait vraiment son histoire. Il vivait seul. Depuis longtemps. Peut-être depuis toujours. Chaque matin, à la même heure, il croisait une dame. Elle, marchait dans l’autre sens. Toujours droite, une certaine grâce dans la démarche. Ses cheveux châtains étaient relevés en un chignon élégant, et son manteau beige flottait autour d’elle comme un voile de calme. Elle portait un sac à main en cuir rouge, usé lui aussi, mais entretenu avec soin. Elle n’avait pas besoin de se faire remarquer. Elle existait avec légèreté, comme un silence précieux dans la rumeur du monde. Léon l’apercevait de loin, ralentissait légèrement ...

Le Clown

Chaque soir, sous le grand chapiteau aux toiles rouges et or, les rires jaillissaient comme des bulles de champagne. La musique entraînante de l’orchestre, les projecteurs balayants, les odeurs mêlées de foin, de pop-corn et de sueur , tout contribuait à créer une magie que nul ne contestait. Et au cœur de cette féérie, il y avait lui : le clown. Depuis des années, il enchaînait les numéros avec une précision d’orfèvre. Il connaissait chaque geste, chaque chute, chaque silence comique par cœur. Rien n’était laissé au hasard : le seau de confettis cachait toujours un jet de serpentins farceurs, son pantalon trop grand glissait pile au bon moment, et son nez rouge brillait comme un phare dans la nuit. Il faisait rire petits et grands, soir après soir, sans jamais faillir. On l’aimait pour sa maladresse, pour ses grimaces, pour sa capacité à rendre légère la moindre journée. Mais derrière son maquillage épais et son sourire peint, nul ne soupçonnait la mécanique intérieure, usée, fatiguée...

mon nom est Moïse

 Mes pieds glissaient sur la rocaille, et la sueur de mon front se mêlait à la poussière du désert. Le vent soufflait avec violence, comme pour me détourner, mais la Voix qui m’appelait brûlait plus fort encore que le feu de midi. Je montais, seul, portant le poids d’un peuple et la soif d’une alliance. Le ciel se chargeait de nuées épaisses ; et les éclairs dansaient comme des serpents de feu au-dessus des cimes. La montagne tremblait sous mes pas, et pourtant je ne reculais point. Je voulais atteindre le point culminant de cette montagne, appelé, le mont  Sinaï. Alors que j’atteignais le sommet, un silence terrible enveloppa toute chose. Le vent s’arrêta, le monde retint son souffle. Et soudain, les cieux s’ouvrirent en un grondement profond, et la voix du Très-Haut retentit comme mille tonnerres. Il parla, non avec les mots des hommes, mais avec la force de l’éternité. Et du cœur de l’orage, les éclairs jaillirent, traçant dans la pierre vivante les paroles sacrées.  l...

90

La salle était silencieuse. Seule une voix brisait le silence, la voix de l’animateur égrenant les numéros, tel un métronome un peu fatigué. — Trente-sept… Le 37. — Soixante-deux… Le 62… Guy serrait sa grille entre ses doigts moites. Son regard allait et venait nerveusement entre les petites cases et le haut-parleur. Autour de lui, les souffles retenus, les soupirs, les cliquetis discrets des jetons posés sur les cartons. Des vieilles dames, des pères de famille, des accros du hasard. Tous à égalité devant le destin en carton. Il n’avait rien gagné ce soir-là. Ni la quine, ni la double quine, encore moins le carton plein. Et pourtant, il y croyait encore. Il misait tout sur le Papé, le 90. Son porte-bonheur, son obsession. Depuis qu’il était gosse, ce chiffre-là avait une aura. C’était l’âge que son grand-père disait vouloir atteindre. Il était mort à 89 ans. L’ animateur continua, imperturbable. — Vingt-quatre… Le 24. Guy enfonça ses ongles dans sa paume. Le 90 n’était toujours pas to...

1 2 3

Louise balance ses jambes dans le vide. Le ciel est devenu mauve, annonçant la fin du jour. Elle joue avec ses doigts, formant des chiffres invisibles dans l’air. "Un… deux… trois..." murmure-t-elle. Elle compte à chaque fois qu’elle espère voir apparaître une silhouette familière au bout de la rue. Maman lui a dit que Papa viendrait aujourd’hui. Pas demain, pas après-demain. Aujourd’hui. Mais le soleil a commencé à s’éteindre derrière les toits et Papa n’est toujours pas là. "Il a peut-être du retard," pense-t-elle à voix haute. "Ou il a oublié." Elle ne veut pas croire à cette dernière option. Pourtant, son cœur se serre un peu plus à chaque minute qui passe. Elle ferme les yeux, tente de se rappeler son visage. Son sourire. La chaleur de ses bras lorsqu’il la prenait contre lui. Elle descend du rebord et court jusqu’au téléphone posé sur la petite table du salon. Maman est dans la cuisine, trop occupée pour voir ses petits doigts composer un numéro qu’e...

La vieille dame

La vieille dame regardait avec tristesse le soleil se coucher derrière la barre d'immeubles qui lui faisait face. Toute une vie résumée dans une valise posée au pied de son lit. Seule, elle était face à la mort, oubliée de tous. La vieille dame autrefois une femme pleine de vie et d'énergie, passait ses journées à contempler ce paysage monotone. Les souvenirs de ses jours de jeunesse se mêlaient à la réalité morne de son présent. Elle se rappelait les promenades au bord de la mer, les rires partagés avec ses amis, les fêtes animées de son enfance. Maintenant, ces moments semblaient appartenir à une autre vie. La valise au pied de son lit contenait les vestiges de ces jours heureux. Une photo jaunie de son mariage, une robe d'été qu'elle portait lors de sa première rencontre avec son défunt mari, et une poignée de lettres d'amour soigneusement rangées. Chaque objet était un rappel douloureux de ce qu'elle avait perdu.Le téléphone ne sonnait plus. Les visites étai...

Le temps qui passe

Dans un petit village perdu au milieu des collines, vivait une vieille dame nommée Élise. Assise sur le banc devant sa maison, elle observait le monde qui passait autour d'elle, le temps filant comme le vent dans les arbres. Élise avait toujours été fascinée par la manière dont le temps semblait s'échapper entre ses doigts, comme du sable glissant à travers une paume ouverte. Elle se rappelait encore avec émotion les jours de son enfance, quand les étés semblaient durer une éternité et les hivers une douce pause dans le rythme effréné de la vie. Pourtant, au fil des ans, le temps avait pris une tout autre dimension. Il semblait s'accélérer à mesure qu'Élise avançait en âge. Les saisons se succédaient à une vitesse vertigineuse, les jours se transformant en semaines, puis en mois, puis en années, dans un tourbillon incessant.Élise se souvenait encore du jour où elle avait rencontré son époux, Charles. C'était un après-midi ensoleillé de printemps, les fleurs étaient ...

un autre moment

L'aube du jour commençait à poindre, baignant l'horizon d'une lueur pâle et dorée. Les ombres de la nuit s'étiraient, réticentes à céder leur place à cette nouvelle lumière. Au loin, les premiers oiseaux saluaient la naissance du jour d’un chant timide, comme hésitant à troubler le silence apaisant qui régnait encore. Au bord de la rivière, Claire se tenait debout, observant le jeu des reflets argentés qui dansaient sur l'eau calme. Ses pensées voguaient, emportées par le courant, vers des souvenirs lointains. Chaque matin, elle venait ici pour retrouver un instant de paix, dans cette heure fragile où le monde était suspendu entre rêve et réalité. Le murmure de l'eau était son seul compagnon. Pourtant, ce matin-là, quelque chose de différent planait dans l’air. Une brise légère soulevait ses cheveux, lui chatouillant doucement la nuque. Elle inspira profondément, savourant l’odeur fraîche de la terre mouillée, imprégnée de rosée. Alors qu'elle se perdait dan...

Comme un oiseau sans ailes

Michel était autrefois un athlète de haut niveau. Il avait remporté des médailles et des trophées dans diverses compétitions sportives, ce qui lui avait valu une grande renommée et une reconnaissance internationale. Cependant, tout cela avait été brutalement interrompu après un accident de voiture qui avait laissé Michel tétraplégique. Après de nombreuses années passées à se remettre de cet accident et à essayer de réapprendre à vivre sans l'usage de ses jambes, Michel avait fini par perdre tout espoir de pouvoir un jour retrouver sa vie d'avant. Il avait dû renoncer à sa carrière de sportif et trouver un autre moyen de gagner sa vie. Cependant, un jour, quelque chose s'était produit dans l'esprit de Michel. Il avait vu une vidéo sur Internet d'un homme qui se lançait du haut d'une cascade, équipé d'ailes en forme de parachute, et qui planait dans les airs comme un oiseau. Cette image avait éveillé quelque chose en lui. Il avait soudain eu une idée qui allai...