Cœurs Vendéens , la résistance



Printemps 1816.

Sur l’île de Noirmoutier, les marais salants brillaient sous le soleil. Les pêcheurs ramendaient leurs filets sur le port de l’Herbaudière, les paysans guidaient leurs bœufs entre les champs de seigle et de blé noir. Mais derrière ce tableau de quiétude, la mémoire demeurait vive.


Vingt ans plus tôt, l’île avait été marquée par le sang et le feu. Chacun se souvenait encore du général d’Elbée, fusillé sur la place, des églises incendiées, des familles dispersées par la fureur des colonnes infernales. Et même si le Roi était revenu sur son trône, la paix restait fragile. La France sortait à peine de la tourmente des Cent-Jours, et des agents bonapartistes rôdaient encore, prêts à rallumer la flamme des révoltes.


Alphonse et Élise, eux, approchaient de la cinquantaine. Ils s’étaient retrouvés après tant d’années de séparation, marqués par les deuils et les privations. Leur amour, pourtant, n’avait pas faibli ; il s’était au contraire affermi. Ce printemps-là, ils décidèrent de se marier.


Leur union fut célébrée dans la petite église de Barbâtre, encore marquée par les flammes passées. Lorsque les cloches sonnèrent à toute volée, beaucoup y virent un signe d’espérance : malgré les guerres, malgré les deuils, la vie reprenait.


Mais la paix ne dura pas. Quelques semaines plus tard, des rumeurs courent dans l’île : des hommes venus du continent complotaient contre la garnison. Ils voulaient s’emparer de Noirmoutier et rallier les mécontents. Pour Alphonse, ce fut comme un coup du sort. Lui qui avait tant donné pour la Vendée comprit que son combat n’était pas terminé.


— Élise, dit-il un soir en serrant ses mains, je dois y aller. Défendre la terre, c’est aussi te défendre, toi.

Elle ne pleura pas. Elle connaissait son devoir. Doucement, elle répondit :

— Alors je prierai pour toi, et j’attendrai ton retour.


La nuit de l’assaut, Alphonse rejoignit ses compagnons près du vieux château qui dominait l’île. Le vent d’ouest soufflait fort, apportant l’odeur de la mer et le cri des mouettes. Dans l’ombre, les insurgés approchèrent, armés de fusils et de sabres.


Le premier coup de feu déchira le silence. La bataille éclata aussitôt. Les ruelles résonnèrent du fracas des armes, des cris et des détonations. Alphonse, le fusil à la main, combattait comme dans sa jeunesse. À chaque tir, il songeait à Élise, à leur mariage récent, à la promesse faite devant Dieu.


Mais bientôt, une balle le frappa à l’épaule, puis une seconde lui transperça la poitrine. Il chancela, s’appuya contre le mur froid du château, et tomba à genoux. Autour de lui, la bataille continuait, mais il ne voyait plus que le ciel obscur, piqué d’étoiles, et le souvenir du sourire d’Élise.


Au matin, l’île était sauvée. Les assaillants avaient été repoussés. Quand Élise accourut, guidée par l’angoisse, elle trouva Alphonse allongé parmi les pierres, le visage apaisé, les mains encore serrées sur son fusil. Elle s’agenouilla près de lui, et le prit doucement contre elle.


De son corsage, elle sortit un petit coquillage, ramassé jadis sur la plage de Luzéronde, un de ces trésors d’enfance qu’ils s’étaient échangés autrefois comme un gage d’amour. Tremblante mais déterminée, elle le déposa tout près du cœur immobile d’Alphonse.


— Tu emportes avec toi la mer, la terre et mon amour, murmura-t-elle.


Puis, se relevant, elle leva les yeux vers le ciel clair du matin. Les cloches de Noirmoutier se mirent à sonner, non plus pour la guerre ni pour le deuil, mais pour accompagner l’âme d’Alphonse, parti défendre une dernière fois sa Vendée et la femme qu’il aimait.



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