Le silence des Atlantes
Personne ne savait.
Pas une onde, pas un écho, pas une rumeur n’avait percé jusqu’à la surface.
Et pourtant, sous les mers, ils étaient là.
Les Atlantes.
Depuis les âges les plus reculés, ils avaient choisi la discrétion. Non pas par peur, mais par sagesse. Leur civilisation, plus ancienne que les premières cités humaines, avait évolué dans l’ombre liquide du monde. Là où la lumière s’effiloche, où les courants sculptent des cathédrales de corail, ils avaient bâti des cités flottantes, des réseaux de pensée, des systèmes énergétiques si subtils que la mer elle-même les protégeait.
Leur technologie n’avait rien de mécanique. Elle était vivante. Organique. Fusion entre la science et les pulsations de l’océan.
J’appartiens à ce peuple. Mon nom est Séléna, fille d’explorateurs et apprentie lisseuse d’ondes. Mon rôle : surveiller la surface, comprendre les Deux-Jambes, ces créatures étranges et imprévisibles, qui croient régner sur la Terre entière.
— Tu dois te cacher, répétait Papily. Si les Deux-Jambes te voyaient, ce serait catastrophique. Leur peur est plus toxique que tout leur pétrole.
Je le savais. Mais la curiosité vibrait en moi comme une marée montante.
Ma dernière mission m’avait conduite à proximité d’un terminal pétrolier. Un endroit lugubre où le métal broyait l’eau. J’étais dissimulée dans un nuage de plancton synthétique, enregistrant les flux toxiques que les humains déversaient sans fin.
Et puis… il y a eu la fillette.
Assise au bout d’un quai désert, elle balançait ses jambes au-dessus de l’eau. Elle m’a vue. Je ne sais comment. Peut-être son regard était-il plus clair que celui des autres. Peut-être avait-elle encore l’innocence d’écouter ce que la mer murmure.
Elle n’a pas crié.
Elle a juste tendu la main, paume vers moi. J’ai hésité. Puis j’ai souri. Et j’ai plongé.
Le Conseil Atlante a réagi comme prévu : colère, peur, rappels à l’ordre.
— Tu as enfreint le Protocole du Silence, a tonné la Matriarche. Ce que tu as déclenché est peut-être irréversible.
Mais quelque chose brûlait en moi.
Cette enfant avait compris quelque chose. Depuis ce jour, elle revenait, chaque matin, laissant tomber dans l’eau des papiers plastifiés : des dessins. Une grande silhouette bleue. Un cœur. Un cercle autour de la Terre. Des mots : “Je sais que tu es là. Je veux aider.”
Alors j’ai proposé une idée. Folle. Inédite.
Le Protocole d’Infusion.
Nous, Atlantes, avons longtemps évité toute forme de contact. Mais nous avons aussi la capacité d’infiltrer leurs réseaux. Nos bio-ondes peuvent s’insérer dans les flux de données. Nos capteurs invisibles lisent leurs satellites. Et surtout, nous avons le catalyseur algal, une technologie capable de purifier n’importe quelle nappe polluante en quelques heures.
Nous avons décidé de l’utiliser.
Mais pas directement. Pas visiblement.
Nous avons commencé par infiltrer leurs systèmes industriels. Silencieusement. L’une après l’autre, des plates-formes pétrolières ont cessé de polluer .Des rivières ont recommencé à respirer. Des zones mortes dans l’océan ont vu renaître des algues, des poissons, du corail.
Les humains n’ont pas compris. Ils ont parlé de miracles écologiques, d’événements inexpliqués. Ils ont envoyé des chercheurs. Certains ont commencé à douter. À espérer.
Et pendant ce temps, nous diffusions des fragments d’ondes, des images, des souvenirs, des voix douces comme le ressac, glissées dans leurs rêves. Une fillette, un cœur, un peuple oublié sous la mer.
Aujourd’hui, je regarde la surface depuis mon dôme d’observation.
Un documentaire est diffusé sur les réseaux humains : “Les Silences de l’Océan”. On y parle de signes étranges, de cartes marines modifiées, de technologies marines anonymes qui semblent vouloir réparer ce que les humains ont brisé.
Personne ne dit Atlantes. Mais certains commencent à croire qu’ils ne sont pas seuls.
Et la fillette ? Elle a grandi. Elle est devenue scientifique. Son nom est mentionné dans un rapport de l’ONU : “Initiative de Collaboration Océanique Inconnue”.
Elle y parle de résonance, de vie cachée, de dialogue à inventer.
Papily sourit en silence, dans sa chambre d’algues suspendues.
— Peut-être que tu avais raison, Séléna.
Peut-être, avons-nous simplement trouvé la bonne technologie :
celle qui répare sans blesser,
celle qui parle sans bruit,
celle qui donne, sans rien attendre.
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