L' attente



Il vivait seul, dans un appartement ordinaire, au cœur d’une ville sans horizon. Ses journées s’écoulaient dans une monotonie sans relief, rythmées par de petits rituels : préparer un café tiède, ranger quelques papiers, puis s’asseoir dans son fauteuil, face à l’écran qui l’accompagnait plus fidèlement que quiconque.


Ce n’était pas une chaîne habituelle qu’il regardait. La télévision diffusait, en continu, l’image fixe et mouvante d’une webcam : le passage du Gois, cette route submersible qui relie le continent à l’île de Noirmoutier. Il n’était pas de là-bas, n’y avait jamais vécu, et pourtant ce lieu l’obsédait. Le flux des marées, l’eau qui recouvrait puis libérait le passage, les silhouettes furtives des voitures et des cyclistes, tout cela le fascinait. Il pouvait passer des heures à contempler ce théâtre minéral et aquatique, comme si chaque marée lui promettait une révélation.


La nuit, ses rêves prolongeaient la vision. Le pays des songes devenait le pays du vent et du sel. Il marchait au milieu des pins maritimes, respirait les effluves de résine, sentait la caresse humide du sable sous ses pas. Chaque détail lui semblait à la fois étranger et familier, comme une mémoire inventée qui, pourtant, lui appartenait.


Et le matin, au réveil, il recommençait l’attente. Attente du soir, attente de l’écran, attente de cette connexion fragile avec un monde qu’il n’avait jamais foulé de ses propres pas. Dans sa solitude, Noirmoutier devenait une présence, une promesse.


Un soir d’hiver, alors qu’il fixait la webcam, un vent étrange s’engouffra par la fenêtre entrouverte, apportant avec lui une odeur de sel. Sur l’écran, le Gois disparaissait lentement sous la marée montante. Dans la pénombre de son salon, il eut l’impression que l’eau franchissait la limite de l’image, qu’elle coulait jusqu’à lui.


Il se leva, comme en transe. Était-il encore éveillé ? Ou déjà là-bas ? Dans le lointain de son esprit, il entendait le froissement des pins et le cri des goélands.


Alors il comprit que l’attente n’était peut-être qu’un seuil. Et que, tôt ou tard, il lui faudrait le franchir.


Depuis ce soir-là, ses nuits ne lui appartiennent plus vraiment.

Elles appartiennent à l’île, au Gois, au vent et au sel.


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