Le Gois des retrouvailles
La destinée avait tracé ses lignes imprévisibles, et mes pas m’avaient éloigné de toi. Était-ce une fuite, une nécessité, ou simplement l’orgueil de croire qu’on peut vivre sans ce qui nous est vital ? J’avais cru, un temps, que m’éloigner de toi serait salutaire. Mais très vite, ton absence s’est muée en blessure.
Chaque jour, ton souvenir revenait, obstiné, parfois doux comme une caresse, parfois brûlant comme un reproche. Je t’entendais dans le silence des soirs, je te voyais dans mes songes, et ton nom, que je n’osais prononcer à voix haute, brûlait mes lèvres.
— Pourquoi es-tu restée si présente en moi ? demandais-je au vent, comme si tu pouvais l’entendre.
Le vent, lui, ne répondait pas. Mais je savais qu’au-delà des kilomètres, tu respirais encore.
Et puis, ce matin, j’ai décidé de revenir. Comme on revient à une promesse qu’on n’a jamais tenue. Mon cœur battait comme à la veille d’une déclaration, mes mains tremblaient sur le volant. J’avais peur et j’avais hâte, à la fois.
La descente vers le Gois commença , passage fragile, mince trait d’union entre toi et moi… Le sable humide brillait sous le soleil, les balises dressées semblaient m’indiquer le chemin, comme des gardiens de nos retrouvailles. L’air marin s’engouffra dans la voiture, chargé d’embruns, de varech et de sel. Alors, je t’ai senti. Oui, c’était toi, dans cette odeur mêlée d’océan et de vent, dans cette caresse invisible qui effleurait mon visage.
— Tu es là… murmurai-je, comme à une amante que l’on retrouve enfin.
Chaque mètre me rapprochait de toi. Tes contours se dessinaient peu à peu, d’abord flous dans la lumière tremblante, puis nets, majestueux. Mon cœur bondissait. Je n’avais pas oublié la force de ta présence, ni l’éclat de ton regard quand le soleil se couchait sur tes lignes.
Je revoyais nos instants partagés :
Nos promenades silencieuses dans la forêt de Barbâtre, quand les pins étiraient leur ombre parfumée et que le sable craquait sous nos pas.
Nos escapades au Bois de la Chaise, avec ses cabines blanches alignées comme des perles sur le rivage, ses falaises ocre et ses criques secrètes où je croyais t’avoir pour moi seul.
Les soirs paisibles dans les marais salants, quand l’eau s’embrasait de reflets dorés et que les sauniers, silhouettes discrètes, semblaient garder la mémoire de ton souffle.
Chaque souvenir était un serment. Chaque lieu, un baiser gravé dans ma mémoire.
— Pardonne mon absence, soufflai-je. J’ai cru pouvoir vivre loin de toi, mais rien ne m’a comblée.
Alors, enfin, je t’aperçus tout entière. Tu étais là, belle et immuable, baignée de lumière. Ton horizon m’accueillait comme des bras ouverts. Mes pas hésitèrent, mes yeux se brouillèrent. Et quand je crus pouvoir tendre la main pour te saisir, je compris.
Il n’y avait pas de visage à caresser, pas de lèvres à retrouver. Car ce n’était pas une femme que je venais retrouver. C’était toi, île de Noirmoutier.
Toi, avec ton passage du Gois, ton cœur de sel, tes ports tranquilles et tes plages infinies. Toi, qui m’avais appris l’attente et la patience, la beauté fragile des marées, la force des racines invisibles.
Je crus t’avoir perdue, mais tu n’avais jamais cessé d’être en moi. Et tandis que mes yeux se perdaient dans l’éclat de ton ciel et le tumulte de tes vagues, je compris que ce retour n’était pas un hasard.
La destinée ne nous avait jamais séparés. Elle m’avait simplement enseigné la valeur de ton absence, pour que l’instant de nos retrouvailles ait la saveur d’un éternel serment.
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