Le café du matin
Les jours peuvent paraître insipides. On se lève le matin, on effectue les mêmes gestes que la veille. Les automatismes font que les choses se passent bien, sans éclat, sans surprise.
Guy vivait ainsi, tranquille et invisible, dans le monotonie paisible d’une vie sans heurts.
Novembre avait étendu sur la ville son manteau de brume. L’air sentait le bois humide et les feuilles mortes. Le vent faisait danser les parapluies, les passants se hâtaient, les réverbères s’allumaient trop tôt. Guy aimait cette période de l’année. Le monde semblait marcher plus lentement, comme lui.
Chaque matin, il descendait de chez lui, le col relevé, les mains au fond des poches, et s’arrêtait au petit café du coin. Un lieu simple, un peu usé, mais rassurant , avec sa lumière dorée, ses odeurs de croissant chaud et de café fraîchement moulu.
Guy s’y installait toujours à la même place, près de la vitre, d’où il pouvait observer le ballet du dehors sans y prendre part.
Il était de ces hommes que l’on croise sans vraiment les voir. Timide jusqu’à l’excès, maladroit dans ses gestes, discret dans ses mots. Les émotions, chez lui, restaient enfouies, comme des graines qu’il n’osait pas arroser. Pourtant, derrière ses silences, battait un cœur attentif, vibrant à la moindre nuance du monde.
Un matin, elle entra.
Elle semblait venir du vent lui-même, avec ses joues rosies et ses cheveux épars sous la pluie. Elle s’assit à la table voisine, posa un livre, et commanda un thé. Guy leva les yeux. Juste un instant. Ce fut suffisant.
Il sentit en lui une chaleur nouvelle, une lumière qui, sans prévenir, chassait la grisaille.
Elle leva les yeux à son tour. Un sourire passa entre eux, furtif, presque timide , le genre de sourire qu’on emporte avec soi toute une journée.
Les jours suivants, elle revint.
Toujours à la même heure.
Ils échangeaient des regards, quelques mots parfois, une banalité dite du bout des lèvres.
Mais pour Guy, chaque mot, chaque silence, chaque respiration partagée devenait une promesse.
Il aurait voulu lui dire tout ce qu’il ressentait , lui avouer qu’elle était devenue la couleur de ses matins. Mais il ne sut jamais franchir la distance minuscule qui séparait leurs tables.
Alors il se contenta de vivre cet amour fragile, silencieux, comme on garde une flamme à l’abri du vent.
Puis, un matin, elle ne vint pas.
Le lendemain non plus.
Ni les jours d’après.
La table resta vide.
Et dans le café, le bruit familier des tasses prit un ton plus triste.
Guy continua de venir, chaque jour. Par habitude d’abord, puis par fidélité à ce qui n’avait jamais vraiment commencé.
Les saisons passèrent. La pluie, la neige, le printemps, et à nouveau novembre.
Et chaque année, à cette même période, il revenait s’asseoir au même endroit, regardant la porte s’ouvrir et se refermer, comme on guette un miracle.
Il ne la revit jamais.
Mais quelque chose en lui demeura.
Ce bref éclat de lumière, cet instant suspendu où le cœur s’était éveillé, restèrent comme une empreinte douce et indélébile.
Guy avait compris que certaines rencontres n’ont pas besoin de durée pour être vraies.
Elles existent juste assez longtemps pour changer la couleur du monde.
Le grand amour, pensait-il, ne frappe qu’une fois à la porte.
Et parfois, on n’a pas le courage d’aller ouvrir.
Pourtant, quand la brume de novembre descend sur la ville, Guy croit parfois apercevoir, dans le reflet de la vitre, une silhouette familière, un sourire qui lui appartient un peu.
Alors, il sourit à son tour, doucement.
Car il sait désormais que l’amour, même manqué, ne s’efface jamais vraiment.
Il se transforme en lumière , celle qui éclaire, en silence, les matins d’un cœur encore vivant.
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