Le chemin
Lorsque l’on part sur le chemin de l’école, à La Guérinière, insouciant comme seul un enfant peut l’être, on ne s’imagine pas ce que peut être demain. Le vent, souvent, accompagne la marche. Il se glisse dans les cheveux, soulève les feuilles de varech échouées sur le sable, porte avec lui des odeurs de sel et d’océan. On avance sans hâte, le cartable au dos, les yeux happés par les dunes qui bordent la route, par l’éclat du soleil qui se reflète sur l’Atlantique.
Ce chemin-là, je le revois encore. Il partait du cœur du village, serpentait entre les petites maisons blanches aux volets bleus, puis s’ouvrait soudain vers la mer. Le matin, la lumière baignait tout d’une clarté laiteuse, comme si chaque pas me conduisait vers un monde encore endormi. J’y marchais sans comprendre que, déjà, je construisais mes souvenirs.
À cet âge, on croit que l’école est le but, que le présent suffit à remplir la journée. On ne sait pas encore que demain, ce demain invisible, se prépare dans chaque instant, dans chaque respiration salée. Si j’avais su alors combien ces matins comptaient, combien ils me hanteraient plus tard, j’aurais ralenti. J’aurais laissé mes doigts glisser sur les murets de pierre, j’aurais gravé en moi l’odeur du goémon chauffé par le soleil, j’aurais écouté plus longtemps le bruit régulier des vagues qui frappaient la plage de la Cantine.
Aujourd’hui, je comprends. La vie nous mène sur bien d’autres chemins, plus rudes, parfois sans horizon. Mais quand je ferme les yeux, c’est celui-là qui revient, toujours : le sentier étroit de La Guérinière, entre mer et village, où chaque pas semblait léger, où chaque matin portait en secret une promesse d’avenir.
Combien de moments difficiles auraient pu être évités, si j’avais perçu alors la fragilité du présent ? Mais l’enfant que j’étais ne pouvait savoir. Il avançait, insouciant, porté par la lumière, ignorant que ce chemin d’écolier deviendrait, un jour, le symbole même de l’amour qu’on porte à la vie.
Et parfois, dans mes songes, je retourne à La Guérinière. Je marche à nouveau sur ce chemin, le sable crisse sous mes pas, le vent m’entoure comme une caresse ancienne, et je comprends alors que tout commençait là. Sur cette île. Sur ce sentier. Sur ce chemin que je n’ai jamais vraiment quitté .
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