Le prix du silence



Louis se réveilla en sursaut.

Une clarté laiteuse filtrait à travers les volets clos, étirant sur le mur les ombres fragiles d’un matin sans forme.

Il tourna la tête vers le réveil : 8 h 47.

Déjà en retard.


Pourtant, ce n’était pas le temps qu’il redouta, mais l’absence de bruits .

Une absence absolue.

Pas de moteur, pas de pas dans l’escalier, pas même le souffle du vent.

Le monde semblait suspendu, vidé de son murmure.


Depuis des années, ce tumulte quotidien l’étouffait.

Les klaxons, les voix, les disputes du voisinage, le brouhaha continu de la ville , tout cela formait autour de lui une armure sonore dont il rêvait de se libérer.

Combien de fois, dans la solitude de ses nuits, avait-il murmuré :

 " Je donnerais n’importe quoi pour que tout se taise" .


Ce matin-là, le vœu semblait exaucé.


Il ouvrit la fenêtre : la rue dormait.

Les arbres, figés.

Les voitures, immobiles.

Même la lumière semblait s’être arrêtée, hésitante.


Un frisson le parcourut.

Il enfila ses vêtements, descendit quatre à quatre les marches de l’immeuble et sortit.

Le silence l’attendait, plus vaste encore, presque vivant.


— Il y a quelqu’un ? appela-t-il.


Rien.

Ses mots s’effacèrent avant même d’exister, avalés par l’air.

Pas d’écho. Pas de réponse.

Comme si la réalité elle-même avait cessé d’écouter.


Alors, il le vit.

Au bout de la rue, assis sur un banc, un vieil homme.

Le visage calme, les yeux pleins d’une lumière ancienne.


Louis s’approcha, le cœur battant.


— Vous… vous entendez ? Il n’y a plus rien, plus de bruit !


Le vieil homme leva la tête.

Un sourire lent naquit sur ses lèvres.


— Tu l’as voulu, dit-il. Tu l’as répété tant de fois que le monde a fini par t’accorder ton souhait.


Louis recula.

— Ce n’est pas ce que je voulais ! Je… je voulais juste un peu de paix.


— Il n’y a pas de paix sans prix, répondit le vieil homme. Le silence que tu désirais, il fallait bien que quelqu’un le paie. Et c’est toi qui as offert la monnaie : la voix du monde, échangée contre ton repos.


— Je ne comprends pas…


— Tu as acheté le calme avec ce que le monde avait de plus vivant : le son.


Une brume passa entre eux. Quand elle se dissipa, le banc était vide.

Louis resta seul.


Il se mit à courir. À crier. À pleurer.

Mais rien ne sortait plus de sa gorge.

Même ses pas ne faisaient plus vibrer le sol.

Il n’existait plus de trace sonore de lui.


Le silence, immense, l’enveloppa.

Et pourtant, dans ce vide, quelque chose frémissait.

Un souffle ténu, un murmure lointain, presque un chant.

D’abord imperceptible, puis plus net.

Une rumeur douce, profonde, qui semblait venir non pas du monde, mais de lui-même.


C’était comme si le silence s’était transformé en écho intérieur.

Chaque souvenir, chaque émotion, chaque pensée prenait forme sonore dans son esprit.

Le vacarme qu’il fuyait dehors était revenu au-dedans.


Alors il comprit.

Le prix du silence n’était pas la mort du bruit,

mais son exil dans son âme.


Et désormais, c’était lui qui devait porter le monde,

l’écouter respirer, gémir, renaître,

dans le grand calme qu’il avait tant désiré.


Le vent se leva doucement.

Les feuilles frémirent, timides.

Un oiseau chanta, quelque part, très loin.


Louis ferma les yeux.

Il n’était plus sûr d’être réveillé.

Mais pour la première fois,

Le silence lui sembla à son juste prix .



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