Le détour
Les bagages étaient prêts depuis l’aube. Guy, pourtant, traînait. Il ajustait les sangles des valises, vérifiait les fermetures éclair, comme si ces gestes anodins pouvaient retarder l’inévitable.
Claire l’attendait près du coffre. Immobile, les bras croisés, elle observait la route avec un calme étrange.
— On y va ? demanda-t-elle.
Il hocha la tête. Le moteur démarra et, bientôt, le village disparut derrière eux. Les champs, les haies, les bosquets défilaient, familiers.
Puis les panneaux changèrent. Les noms lui étaient inconnus : Bois du Silence, Ravin des Ombres, Col des Murmures.
— On ne prend pas la bonne route, dit-il.
— C’est la bonne, répondit simplement Claire.
Il ne répliqua pas. Peut-être avait-elle trouvé un raccourci. Mais la route semblait se rétrécir, les arbres se courber vers eux, leurs branches figées malgré le vent. Les couleurs du paysage paraissaient plus vives, presque artificielles.
Sur le GPS, plus aucun nom, juste des coordonnées défilant trop vite.
La route s’acheva sur un vieux pont de pierre. En contrebas, un brouillard épais s’étendait, mouvant comme de l’eau. L’air avait changé : plus lourd, plus froid.
— On devrait faire demi-tour.
— Non, dit Claire. Continue.
Il obéit.
Le passage sur le pont lui donna l’impression de tomber et de flotter à la fois. Tout bruit disparut, même celui du moteur. Puis la lumière changea.
De l’autre côté, le ciel était pâle, presque vert, sans source de lumière identifiable. Les collines ondulaient comme si elles respiraient. Au loin, des formes immobiles les observaient. Guy détourna le regard.
— Où sommes-nous ? murmura-t-il.
Claire marchait déjà vers l’avant, sans répondre. Il la suivit. Le sol semblait plus souple que de l’herbe, mais pas tout à fait solide. Le silence était total, comme si le monde entier retenait son souffle.
Puis, soudain, un souffle chaud passa sur leurs visages. Les formes au loin semblèrent bouger, ou peut-être avait-il rêvé. Claire se tourna vers lui. Ses yeux avaient pris une teinte argentée.
— On doit repartir, dit-elle.
Ils retraversèrent le pont. La même sensation de chute. Puis, d’un coup, tout redevint normal : la route goudronnée, les panneaux familiers, le ciel gris.
Guy freina légèrement.
— Qu’est-ce qui vient de se passer ?
Claire le fixa un instant.
— Juste un détour, répondit-elle.
Ils poursuivirent leur trajet. Mais une heure plus tard, Guy réalisa qu’il n’arrivait plus à se souvenir précisément du trajet entre le village et leur destination.
Et, curieusement, il n’était pas certain de vouloir s'en souvenir.
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