La spirale



Parfois, on rêve de fuir l’instant présent. On voudrait l’abandonner comme une peau trop lourde, se glisser ailleurs, n’importe où. Madeline, elle, y songeait souvent. Ses jours lui paraissaient ternes, ses nuits trop longues, et chaque matin recommençait avec la même fatigue.


C’est une nuit de pluie que la brèche apparut.


Sur le mur de sa chambre, une ombre se mit à tourner sur elle-même, comme un filament de fumée. Elle s’élargit, se replia, traça des cercles toujours plus profonds. Une spirale. Vivante. Elle battait comme un cœur. Madeline, hypnotisée, tendit la main. Et aussitôt, le mur se dissout.



Elle flottait désormais dans un tunnel de lumière et d’ombre mêlées. La spirale l’enveloppait, la portait à travers ses anneaux. Et dans chacun s’ouvrait une fenêtre.


Elle se vit rire dans un jardin éclatant de soleil. Plus loin, elle se découvrit vieille femme paisible au bord de la mer, un carnet posé sur ses genoux. Dans un autre cercle, elle était seule, errant dans une chambre grise où le temps ne bougeait pas. Chaque image avait la netteté d’un instant déjà vécu et pourtant étranger.


Les visions se succédaient, foisonnantes, labyrinthiques. Certaines étaient lumineuses, d’autres déchirantes. Dans l’une d’elles, à peine esquissée, elle aperçut un quai de gare. Des silhouettes pressées, un train qui s’ébranlait, et son propre visage, plus jeune, fixé dans l’attente. La scène passa vite, avalée par le cercle suivant. Elle n’eut pas le temps de comprendre, mais une douleur sourde s’inscrivit en elle, comme une blessure qu’on frôle sans vouloir la rouvrir.


Puis la spirale l’entraîna plus bas. Les images devinrent plus sombres, plus instables. Des fenêtres vides s’ouvraient, ne montrant que des ténèbres. Et plus elle descendait, plus ces vides se multipliaient.


Madeline sentit son cœur se serrer. Elle comprit alors que la spirale n’offrait pas seulement des chemins, mais aussi leur effacement. À l’extrémité, il n’y avait rien.


Une voix résonna, douce mais implacable :

— Chaque instant est une bifurcation. Chaque souffle est une chance. Mais si tu fuis toujours, il ne restera rien.


Madeline voulut s’accrocher à une image. Les scènes défilaient trop vite, trop fortes, trop lourdes. Et soudain, elle en trouva une, minuscule : un matin d’été, une tasse de café fumant dans la lumière d’une fenêtre ouverte. Ce simple souvenir vibra en elle comme une vérité fragile.


Elle s’y cramponna.


La spirale recula, les anneaux se dissipèrent. Elle bascula dans le noir .


Quand elle rouvrit les yeux, Madeline était dans son lit. Le mur avait retrouvé son opacité. Ses mains tremblaient, mais son souffle s’apaisait peu à peu.


Elle ne sût jamais si elle avait rêvé. Pourtant, le lendemain, elle s’arrêta longuement devant sa fenêtre, simplement pour regarder le ciel. Les nuages avançaient lentement, et elle pensa que ce présent-là, qu’elle avait tant voulu fuir, était peut-être le seul vrai refuge.


Et la nuit suivante, quand elle crut entendre la spirale tourner à nouveau, elle resta immobile, serrant le fragile instant qu’elle venait d’apprendre à aimer.


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