La vallée des fées
En débutant la lecture de cette nouvelle, je vois votre sourire en coin. La Vallée des Fées, pourquoi pas, le rocher des lutins ? Je vous laisse juger après la lecture de ce récit.
Mylène adorait se promener dans cette vallée. Beaucoup de souvenirs de son enfance étaient liés à cet endroit. C'était un lieu où la lumière filtrait toujours d'une manière particulière, caressant les mousses phosphorescentes qui recouvraient les rochers et les troncs centenaires. Le murmure du ruisseau, un filet d’argent qui serpentait au fond, était la seule musique.
Sa promenade était sans doute la dernière. La maladie, une ombre froide et persistante, avait fini par la rattraper. Chaque pas lui coûtait désormais un effort surhumain, mais elle s’y accrochait, cherchant dans le vert profond de la vallée une dernière bouffée de son enfance, une dernière échappatoire à la douleur. Elle avait besoin de dire adieu à ce lieu sacré.
Alors qu’elle s'asseyait, le dos contre le tronc d'un chêne que son grand-père appelait le « Gardien », le silence devint plus profond, presque palpable. Le chant des oiseaux s’était éteint. Mylène ferma les yeux, sentant une faiblesse grandissante l'envahir. Elle se laissa glisser doucement vers le sommeil.
Elle fut réveillée par une fraîcheur légère, comme un baiser de rosée sur sa peau. Elle ouvrit les yeux.
La lumière n'était plus la même. Le crépuscule avait laissé place à une clarté douce, irréelle, qui ne venait d’aucune source identifiable. Et elles étaient là.
Elles étaient des êtres de lumière et d'écorce, de sève et de brume. Leurs ailes, fines comme des toiles d’araignée au matin, vibraient si rapidement qu'elles n'étaient qu'un halo. Leurs visages, délicats et étrangement graves, la fixaient avec une curiosité ancienne.
Elles étaient des dizaines, flottant autour du Gardien. La plus proche, celle qui semblait diriger le groupe, s'approcha doucement.
« Tu es venue pour la dernière fois », murmura une voix dans l'esprit de Mylène, douce comme le tintement de clochettes de verre. « La Vallée l'a toujours su. Elle t'a gardée dans son cœur. »
Mylène, la voix faible, confia : « J'aurais voulu... rester plus longtemps. »
La fée s'approcha, tendant une main minuscule vers la sienne. « La mort n'est pas une fin, seulement une transformation. Les chemins de la vie ne s'arrêtent pas toujours là où les hommes le croient. La Vallée est une porte pour ceux qui l’aiment vraiment. »
Alors que la fée effleurait la main de Mylène, une vague d'énergie la traversa. La douleur de la maladie s'évanouit, remplacée par une légèreté inattendue. Elle sentit ses propres contours se dissoudre, son corps de chair devenir translucide, se mêlant à la lumière irréelle. Elle ne mourait pas, elle se dissolvait.
Elle se redressa. Elle n'était plus la femme fatiguée ; elle était une silhouette d’ombre et de souvenir. Elle regarda ses mains : elles étaient faites du même tissu que les ailes des fées.
La fée lui sourit. « Tu resteras. Dans l'esprit de ces bois. Tu seras la gardienne des souvenirs, la lueur dans la mousse. Tu es désormais l'une des nôtres, celle qui est venue du monde extérieur pour veiller sur ce lieu sacré. »
Mylène comprit. Elle ne quittait pas la Vallée. Elle en devenait une partie essentielle. Les souvenirs de son enfance n'étaient plus des échos, mais son essence même. Elle sourit, un sourire léger et aérien. Elle fit un pas. Elle ne marchait plus, elle flottait. Elle rejoignit le cercle des fées, devenant une forme de lumière parmi les autres.
Le lendemain, à l'aube, un agent de recherche sillonnait la Vallée. Il ne trouva que le foulard et le sac de Mylène, soigneusement déposés contre le chêne que les locaux appelaient le Gardien. L'absence de son corps fut d'abord attribuée à la maladie : Mylène avait pu s'éloigner, désorientée, et succomber plus loin, son corps recouvert par la végétation dense. Une autre hypothèse fut soulevée, plus tragique : la chute dans le ruisseau, emportée par le courant.
L'affaire fut classée au bout d'un mois. Fantastique dans l'imagination, elle était résolue de manière réelle dans les dossiers de la gendarmerie.
Pourtant, la vallée changea. Les habitants des hameaux voisins commencèrent à raconter des histoires. Des randonneurs égarés prétendaient avoir été guidés par une lueur étrange et bienveillante à travers le brouillard. Les enfants disaient que la mousse phosphorescente près du Gardien était plus brillante que jamais, portant une couleur que personne n'arrivait à définir, un mélange de vert de sève et de blanc de lune. Certains juraient avoir entendu, les soirs de pleine lune, un rire léger et joyeux, celui d'une femme qui aurait retrouvé sa jeunesse.
L'endroit est depuis surnommé, plus que jamais, La Vallée des Fées. Les récits de Mylène, la femme qui aimait trop cet endroit pour le quitter, se sont tissés dans la légende locale.
Alors, cher lecteur, la disparition de Mylène n'était-elle qu'une fin triste et naturelle, expliquée par la maladie et la forêt dense ? Ou bien, la Vallée des Fées a-t-elle, comme le disait la créature de lumière, ouvert une porte pour une femme qui ne demandait qu'à rester et à veiller sur les souvenirs de son enfance ?
Et si c'était vrai ?
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