Retour vers le passé
Guy, au fond de son lit, n’arrivait pas à trouver le sommeil. Les pensées se bousculaient dans sa tête, se chevauchaient sans répit, passant de la plus douce à la plus difficile. Les souvenirs de son enfance se mêlaient à ses regrets d’adulte, ses espoirs étouffés croisaient ses échecs. Chaque fois qu’il croyait apaiser son esprit, une nouvelle vague d’images revenait le hanter.
Il tourna et retourna sous les draps, le regard fixé au plafond qu’il connaissait par cœur. Rien n’y faisait. Le sommeil, ce soir-là, s’obstinait à le fuir.
Puis, soudain, la douce lumière de sa lampe de chevet changea d’intensité. Elle se mit à briller d’un éclat aveuglant, comme si une étoile entière s’était logée dans l’ampoule. Guy, surpris, ferma aussitôt les yeux pour se protéger.
Quand il les rouvrit… tout avait changé.
La chambre n’était plus la sienne. Le papier peint défraîchi avait disparu. À sa place, des murs clairs décorés d’affiches d’un autre temps : une vedette yéyé, une voiture aux lignes rondes, un poster jauni d’une fusée en plein décollage. L’air sentait la cire et le tabac froid, odeurs qu’il n’avait pas respirées depuis des décennies.
Guy se leva lentement. Ses jambes tremblaient. Dans le miroir accroché à la porte de l’armoire, il aperçut un visage qui le figea : celui d’un adolescent. Ses propres traits, mais rajeunis de cinquante ans. Ses yeux, autrefois fatigués, brillaient d’une insouciance qu’il croyait perdue à jamais.
Il ouvrit la porte. Le couloir résonnait de bruits familiers : une radio grésillait en diffusant une chanson de Claude François. Plus loin, une voix appela :
— Guy ! À table !
C’était la voix de sa mère.
Un frisson le traversa tout entier. Elle était là, vivante, avec ce ton chaleureux et ferme qu’il n’avait pas entendu depuis si longtemps. Les yeux embués, il descendit l’escalier. La table était dressée. Son père, assis à sa place habituelle, lisait le journal, tandis que sa mère posait la soupière fumante au centre.
— Qu’est-ce que tu attends ? Viens t’asseoir, dit-elle en souriant.
Guy s'exécute. Devant lui, le pain croustillait, le vin avait ce goût un peu rude qui rappelait la simplicité des repas familiaux. Tout paraissait identique. Pourtant, une angoisse naissait au creux de sa poitrine. Était-ce un rêve, un don, une chance de recommencer ?
Il les regarda longuement, comme pour graver leurs visages dans sa mémoire. Il savait déjà l’avenir : la maladie qui emporterait son père trop tôt, la solitude de sa mère qu’il n’avait pas toujours su consoler, ses propres silences, ses propres absences. Tant de gestes qu’il aurait voulu refaire, tant de mots qu’il aurait dû prononcer.
Il voulut parler, prévenir, demander pardon avant même que les fautes ne soient commises. Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Le temps, cruel, lui imposait son mutisme. Le passé n’était pas là pour être changé : il n’était qu’un miroir implacable, une réminiscence trop parfaite, destinée à lui rappeler que ses erreurs faisaient partie de lui, indélébiles.
La lumière, de nouveau, envahit la pièce. Tout vacilla autour de lui : les visages, les voix, les couleurs. Guy sentit son corps basculer, aspiré par un gouffre de clarté.
Quand il rouvrit les yeux, il était allongé dans son lit. La lampe de chevet diffusait à nouveau sa clarté douce. La chambre était la sienne, silencieuse, froide.
Guy soupira. Ses mains tremblaient. Il savait désormais que, même si l’on pouvait traverser le temps, les cicatrices de la vie ne s’effaçaient jamais. Elles s’impriment, elles forment ce que nous sommes. Les regrets ne se corrigent pas, ils s’apprivoisent.
Il éteignit la lampe. Dans l’obscurité, une seule certitude demeurait : le passé ne se réécrit pas.
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