Les chemins de la vie



Assis sur le banc du jardin, je laissais le soleil couchant glisser sur mon visage comme une caresse d’adieu. L’air portait l’odeur des feuilles mortes, parfum discret qui rappelle que tout finit un jour. Dans ces moments où la lumière baisse et où le silence s’épaissit, la question revenait, inévitable :

Comment aurait été ma vie, si j’avais fait les choses autrement ?


J’avais vécu… oui. Mais avais-je vraiment vécu la vie que j’avais souhaitée ? Les souvenirs défilaient comme un vieux film aux images tremblantes : la main que je n’avais pas osé retenir, la lettre restée inachevée, l’occasion laissée filer par crainte ou par lassitude. Chaque choix avait tracé un chemin, et je l’avais suivi sans me retourner.


Ce soir-là pourtant, quelque chose troubla la quiétude du jardin. Une lueur apparut derrière le vieux pommier, faible d’abord, puis plus vive, comme un souffle qui palpite dans l’ombre.


Intrigué, je me suis approché. Là, flottant à quelques centimètres du sol, se dressait une forme ovale, miroitante comme une flaque verticale. Sa surface semblait respirer.


Je tendis la main. Dès que mes doigts la touchèrent, tout bascula.


Je me retrouvai dans la salle claire et sobre d’une mairie, vêtu d’un costume sombre. Les chaises étaient alignées, et un visage rayonnant m’attendait près du bureau du maire. Dans cette vie, j’avais pris l’engagement du mariage. Les années passèrent en un souffle : la naissance des enfants, les rires qui emplissaient les pièces, les soirées au coin du feu. Mais aussi les disputes, les concessions silencieuses, et cette lente dérive où l’on s’aime encore, mais autrement.


La lumière revint et m’emporta ailleurs. J’étais en uniforme, les épaules droites, la démarche assurée. Ma vie était celle d’un militaire, rythmée par les départs et les retours, les pays lointains, l’odeur de poudre et de poussière. La fierté était là, mais chaque absence creusait un peu plus le fossé entre moi et ceux que j’aimais.


Puis la lumière m’enveloppa encore, et je me retrouvai au chevet d’un lit d’hôpital. Une main frêle reposait dans la mienne. Dans cette vie, j’avais choisi de rester près de cette personne si chère, de tout abandonner pour l’accompagner dans ses derniers instants. Les jours étaient faits de murmures, de silences, d’attente. Et quand la dernière respiration vint, je sentis un vide immense s’installer en moi, mais aussi une étrange paix, celle d’avoir été présent jusqu’au bout.


D’autres éclats vinrent, plus rapides : des visages inconnus, des lieux familiers, des routes battues par le vent. Dans chacune de ces vies, j’étais quelqu’un d’autre, et pourtant toujours moi.


Quand je revins sur le banc, la nuit avait enveloppé le jardin. La porte avait disparu. Tout semblait pareil… et pourtant, le monde avait changé.


Je compris que, quelles que soient les routes, elles m’auraient toutes conduit à ce même point : un crépuscule, un silence, et cette interrogation qui persiste. Les choix auraient été différents, les joies et les pertes aussi, mais l’ombre des et si se serait toujours glissée dans mes pensées.


Alors, dans la nuit, j’ai serré contre moi ce que le présent avait encore à offrir, conscient que le chemin importe moins que la façon dont on le parcourt, et que chaque fin est tissée des absences que l’on porte avec soi.


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