Le dernier voile
On pense vivre dans un monde ordonné. Un monde mesuré, balisé, rationnel. Chaque chose à sa place. Le vent souffle, la pluie tombe, les feuilles jaunissent. On traverse les saisons comme on traverse la rue sans y penser vraiment. Mais il ne s'agit que d’un décor. Un décor fragile, tendu comme une couverture sur un homme se reposant. Parfois, une faille s’ouvre. Elle peut ressembler à un reflet qui persiste un peu trop longtemps dans une vitre. À une silhouette qui ne produit aucune ombre. À un bruit qui vient d’un endroit sans matière. Ce sont des fissures, des effritements dans la grande illusion collective. Des signes que le vernis du réel craque. L’un de ces instants arriva un matin gris, comme les autres. Il y eut un silence anormal, une suspension de tout. Et soudain, un regard. Pas humain. Pas animal. Un regard qui perça le voile. Il ne jugeait pas. Il constatait. Comme si quelque chose derrière les apparences reprenait conscience de notre existence. Ce jour-là, l’équilibre b...