Les yeux qui pleurent
Il ne pleurait jamais.
Il avait pris l’habitude de taire ses émotions, de les plier au fond de lui comme on range de vieux vêtements dans une malle que personne n’ouvre. Il n’y avait pas eu de moment pour s’effondrer, pas de place pour les larmes. Alors il avait appris à ne pas pleurer.
Mais ses yeux, eux, ne suivaient plus toujours la consigne.
Parfois, sans raison apparente, ils s’humidifiaient. Une larme montait, discrète, comme si son corps parlait à sa place.
Ce n’était pas un sanglot.
C’était un silence trop longtemps porté.
La maison était tranquille. Trop.
Une paix usée, sans rires, sans bruits imprévus.
Il y vivait seul depuis longtemps. Et plus les années passaient, plus ce vide prenait de la place. Il s’infiltrait dans les objets, dans les gestes du quotidien. Il était devenu la voix principale.
Les enfants n’écrivaient plus. Il ne savait pas très bien pourquoi. Il avait essayé, autrefois, de renouer, d’ouvrir des portes. Mais on ne force pas un retour. Le silence s’était installé.
Il y pensait tous les jours. Sans en parler.
Il n’en voulait pas. Pas vraiment.
Mais il aurait voulu comprendre.Mais aucune réponses ne lui arrivaient . Ou des réponses qu’il n' avait pas envie d’entendre.
Quant aux petits-enfants…
Il ne les avait jamais vraiment connus.
Pas même un dessin. Pas une photo.
Pas ce genre de chose qu’on glisse dans une enveloppe, presque machinalement, comme une trace de vie partagée.
Rien.
Et c’était peut-être cela qui lui faisait le plus mal.
Il n’avait rien à encadrer. Rien à accrocher.
Pas même une écriture maladroite. Pas même un soleil au feutre.
Il n’était pas amer. Il ne criait pas à l’injustice.
Il s’était simplement effacé du monde des siens, doucement, comme une image qu’on laisse trop longtemps au soleil.
Et il vivait avec cela. Sans heurt.
Mais pas sans douleur.
Il s’asseyait souvent dans son vieux fauteuil, face au mur blanc. Ce mur, il ne l’habillait plus. Il avait cessé d’attendre quelque chose à y accrocher.
Il regardait, au fond, l’absence elle-même.
Et c’est à ces moments-là que ses yeux pleuraient.
Pas pour demander.
Pas pour se plaindre.
Mais parce que l’amour, même silencieux, finit toujours par chercher un chemin pour sortir.
Et quand il n’a plus de destinataire, il remonte comme une vague, jusque dans le regard.
Il continuait malgré tout. Il ouvrait les volets, il buvait son café.
Il saluait les saisons, une par une.
Avec ce poids discret, niché au creux du cœur :
avoir tant aimé,
et être presque seul .
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