Juste un aller/retour
L’aube venait à peine de laisser apparaître le soleil que la ville était déjà réveillée.
Un voile rosé s’étendait lentement sur la forêt verticale des gratte-ciels, leurs façades miroitant l’éclat du jour naissant comme autant de miroirs géants suspendus dans le ciel. Les rues aériennes, suspendues à des centaines de mètres du sol, se peuplaient peu à peu d’humains pressés, de livraisons par drones et de modules taxis filant en silence sur des rails lumineux.
Dans le lointain, les grandes éoliennes urbaines tournaient lentement, leurs pales effleurant les nuages artificiels ,pour tempérer la météo.
Les bornes de transfert s’allumaient une à une, diffusant une lueur bleutée qui s’imprimait sur les dalles du sol comme des halos surnaturels.
Plus haut encore, flottant au-dessus des immeubles, les hologrammes publicitaires s’agitaient dans l’air du matin. Une peau synthétique qui se régénère en temps réel, un compagnon affectif à base de souvenirs recomposés, une boisson euphorisante sans contre-effets. Des slogans tournoyaient dans les airs :
« Libérez vos sens ! » — « N’imaginez plus : vivez ! » — « Devenez la meilleure version de vous-même. »
Pierre ouvrit les yeux.
L’éclairage adaptatif avait déjà simulé le lever du soleil dans sa chambre.
La lumière passait doucement du doré à un blanc doux, pendant qu’une nappe musicale minimaliste s’infiltrait dans l’air. Les murs, comme en apesanteur, affichaient des images mouvantes de montagnes irréelles baignées de brume.
Alpha, son robot domestique, se tenait près du comptoir. De forme humanoïde mais épurée, avec des articulations souples et une peau de polymère mat, il déposait une tasse fumante sur la table.
— Bonjour, Pierre. J’ai préparé votre café comme hier : 17 % plus corsé. Taux de concentration optimal pour les missions en zone orbitale.
Pierre s’étira, s’assit, huma le parfum. Une touche de cardamome, juste assez pour surprendre sans déplaire. Il avala la première gorgée, encore un peu engourdi.
— Quelle heure est-il ?
— 06h42. La navette arrive dans 38 minutes. Vous êtes dans les temps.
Pierre regarda dehors. Les vitres intelligentes s’étaient effacées pour lui offrir une vue complète de la ville. À perte de vue, les toits végétalisés, les dômes de production d’oxygène, les flux de véhicules aériens et les tours de verre baignées dans une lumière ambrée.
Au loin, le ciel était déjà zébré de trajectoires orbitales, filaments blancs dans l’azur.
Aujourd’hui, il partait pour Alpha du Centaure.
Une station en orbite de Proxima b signalait une défaillance critique dans ses modules de régulation énergétique. Rien de spectaculaire. Une panne comme il y en avait tant.
Mais comme toujours, il fallait un humain sur place. Pour comprendre ce que les intelligences ne percevaient pas encore : l’imperceptible nuance entre un algorithme bien réglé et un système qui vacille.
Alpha lui tendit sa combinaison de vol. Fine, noire, nervurée de circuits argentés, elle s’ajustait comme une seconde peau.
Le module-outil se glissa dans son étui dorsal, compact et silencieux.
À 07h19, la navette arriva. Une forme lisse, ovoïde, en carbone sombre. Elle se posa en douceur sur le balcon élargi, sans un bruit. À l’intérieur, pas de pilote. Juste une interface lumineuse, pulsant d’un rythme lent comme un souffle.
Pierre monta, s’assit, attacha la ceinture. La coque se referma autour de lui.
La ville disparut d’un coup.
Le ciel se courba, puis s’effaça.
L’atmosphère céda sa place à l’encre noire de l’espace. La Terre, suspendue derrière lui, n’était déjà plus qu’un disque vivant taché de blanc.
Le silence du vide était total.
Les constellations connues se mêlaient aux balises de navigation, clignotantes comme de petites lucioles mécaniques. Devant lui, la signature lumineuse d’Alpha du Centaure était déjà visible sur l’écran de trajectoire.
Après un saut balistique déclenché à 0,72 TU, il se retrouva en orbite basse de Proxima b. La station Techno-Beta apparaissait comme une araignée d’acier suspendue dans le vide, ses bras solaires tournés vers le minuscule soleil rouge.
On l’attendait à quai. Il n’eut pas le temps d’échanger plus de trois phrases avec les techniciens.
Le problème était localisé : deux modules photon-corps en conflit de phase, probablement dus à une dérive des synchronisations quantiques. Pierre reconfigura les matrices, relança les circuits, réinitialisa la séquence. Il ajusta manuellement un connecteur, puis testa les flux. Tout revint dans l’ordre.
— C’est réglé, dit-il simplement.
— Merci d’être venu. On ne savait plus quoi essayer, répondit un technicien fatigué.
Il refusa le repas proposé, préféra rentrer.
La navette effectua le saut retour à 17h39.
Il était de nouveau chez lui à 18h24. Alpha avait tout préparé : lumière douce, assiette chaude, musique calme.
— Mission accomplie ? demanda le robot.
— Oui. Un détail. Une boucle d’initialisation mal fixée. Rien de grave.
Il s’installa dans son fauteuil, une tasse de thé tiède entre les mains, et regarda le ciel.
Les étoiles apparaissaient, lentement, au-dessus de la ville.
Là-haut, quelque part, Alpha du Centaure brillait à peine plus fort qu’un pixel.
Pierre haussa les épaules.
— Finalement… c’était juste un aller-retour.
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