Un grain de riz



Ils ont dix ans.

Eitan, le petit Israélien, vit à Kiryat Arba.

Sofiane, le petit Palestinien, vit à Hébron.


Ils se ressemblent, sans le savoir. Même taille, même vivacité dans le regard, même façon de courir après un ballon de fortune.

Mais entre eux, il y a un mur. Un vrai. Haut, gris, hérissé de barbelés.

Et d’autres murs encore : la peur, les récits familiaux, les blessures de l’histoire.


Eitan


Eitan vit dans une maison propre, entourée de clôtures. Il dort dans un lit aux draps bleus, collectionne les billes, joue à la console avec son grand frère.

Il aime la douceur des gâteaux au miel que prépare sa grand-mère.


Mais dans sa vie aussi, il y a des ombres.

Des alertes qui résonnent en pleine nuit.

Des voisins morts dans un attentat à la bombe.

Des visages absents dans les albums de famille.

Il a appris à courir vers les abris, à ne pas descendre seul dans certaines rues, à toujours regarder derrière lui.

Chez lui, la peur porte un nom : l’ennemi invisible, celui qu’on dit vouloir "effacer Israël".


Sofiane


Sofiane vit de l’autre côté du mur, dans une vieille bâtisse où l’eau ne coule pas tous les jours. Il dort à même le sol, partage un pain pour trois et ne va plus vraiment à l’école.

Il aime dessiner, surtout des oiseaux , parce qu’eux, au moins, peuvent voler librement.


Mais sa vie, elle, est cernée.

Les checkpoints qui bloquent l’horizon.

Les bulldozers qui rasent les vergers.

Les raids nocturnes qui emmènent les cousins sans explication.

Et aujourd’hui, la faim. Une vraie.

Le riz, l’huile, le lait , tout manque.

Chez lui, la peur a le visage des soldats, des drones, des papiers qu’il faut montrer pour passer.


La rencontre


Un jour, par un trou dans le mur, un sentier oublié entre les pierres.

Sofiane s’y glisse. Il veut voir, juste voir.

Eitan explore les collines derrière chez lui, loin des rues surveillées.


Et là, soudain, ils se retrouvent face à face.

Deux enfants. Haletants. Hésitants.


Ils pourraient crier, s’enfuir, se lancer des pierres.

Mais ils restent là. Silencieux.


Eitan sort un petit sachet de toile de sa poche. Il l’ouvre : quelques grains de riz roulent dans sa main.

— Ma grand-mère dit qu’on gardait ça pendant les guerres. Un grain dans la poche, pour se souvenir que parfois, la vie ne tient qu’à ça.


Sofiane tend la main.

Un instant d’hésitation.

Puis Eitan dépose un grain dans sa paume.


— Chez moi, dit Sofiane, on en a presque plus. Juste un peu, parfois. Quand on a de la chance.


Ils se regardent. Longtemps.

Ils ne savent pas ce qu’ils font exactement. Mais ils sentent que c’est important. Que c’est rare.


Et puis une sirène, un bruit de moteur, une voix lointaine.

Ils s’éloignent. Chacun repart dans son monde.


Épilogue


Le soir, Eitan vide ses poches. Il regarde le sachet, presque vide.

Un grain manque. Mais quelque chose en lui est plus plein qu’avant.


Le soir, Sofiane cache le grain dans une boîte d’allumettes.

Il le regarde comme un talisman. Pas pour le manger. Pour se souvenir.


Autour d’eux, rien ne change.


Eitan vit dans un pays où les enfants doivent apprendre trop tôt à se méfier, à survivre aux attaques, à pleurer des morts sans comprendre pourquoi ils étaient visés.

Sofiane vit dans une terre où les enfants doivent apprendre trop tôt à renoncer, à supporter la faim, à se taire devant les humiliations.


Et parfois, de leur côté, des hommes posent des bombes dans les bus. D’autres bombardent des immeubles entiers.

Et au milieu de tout ça, il y a deux enfants qui se sont tendu la main.


Un seul grain de riz.

Comme une promesse, fragile, minuscule.

Mais une promesse quand même.


Parce qu’un jour, il faudra bien que ça cesse.

Pas pour les anciens. Pas pour les drapeaux. Pas pour la vengeance.

Mais pour ceux qui naissent aujourd’hui, des deux côtés du mur, sans avoir choisi.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le temps qui passe

90

Le silence des Atlantes