Les enfants de l'aube



Les explorations successives sur cette planète jumelle de la nôtre n’avaient rien appris de plus. Malgré nos technologies d'observation avancées, nos vaisseaux discrets et nos capteurs infiltrés jusqu'au cœur de leurs cités, nous restions face à une énigme aussi désespérante que familière.


Ces êtres, physiquement semblables à nous selon toutes nos constatations, accusaient un retard de développement de plus d’un millénaire. Une civilisation jeune et instable, balbutiante dans sa compréhension du vivant, sourde à toute tentative de contact. Au fil des siècles, nous avions essayé toutes les méthodes connues. Des signaux lumineux à la transmission neuronale subtile. Rien. Leurs sens, leurs esprits, restaient fermés.


Et surtout, il y avait ce mot, obsédant, omniprésent dans leurs discours, leurs récits, leurs actes : guerre.


Ils le brandissaient comme un totem sacré. Ils s’entretuaient par millions, brûlaient leurs villes, leur ciel, leur futur, sans l’ombre d’un regret. Ils glorifiaient la violence, la haine, l’effacement de l’autre. Une espèce incapable de se regarder autrement qu’en ennemie.


Mais ce n’était plus seulement leur problème. Leur soif de destruction dépassait désormais leurs frontières planétaires. La bombe atomique, qu’ils avaient réussi à développer malgré leur ignorance de l’univers, devenait une menace pour leurs voisins dans la galaxie. Nous ne pouvions plus détourner le regard.


Alors le Comité Central de l’Harmonie Cosmique fut convoqué.


Il fallut des jours de délibération. Les Anciens se souvenaient des grands drames, des erreurs d’ingérence, des civilisations détruites malgré les meilleures intentions. Le Conseil des Éthiques Universelles s’opposa farouchement à toute intervention violente. Il fut décrété que , exterminer une espèce, même dangereuse, nous rendrait semblables à elle.


Et pourtant… laisser faire n’était plus une option.


Un plan naquit, audacieux, sans précédent. Il ne se basait ni sur la force, ni sur la domination. Mais sur le temps. Et sur les enfants.


La décision fut prise à l’unanimité. Unique dans nos annales.


Chaque famille volontaire remettrait un enfant à la mission. Ils seraient déposés, un par un, aux quatre coins de la planète jumelle. Avec soin, dans des lieux choisis : des orphelinats, des maisons pauvres, des zones rurales et des capitales modernes. Ils seraient pris pour des enfants abandonnés , et, comme souvent chez eux, recueillis, adoptés, élevés dans leurs foyers.


Nos enfants disposaient d’une intelligence bien supérieure à la leur, mais aussi d’une empathie accrue, d’une mémoire ancestrale, et d’un sens profond du collectif. Ils n’auraient aucune connaissance de leur origine, jusqu’au jour où leur mission intérieure les réveillerait.


Le plan était simple. Infiltrer sans dominer. Influencer sans commander. Ils passeraient pour des prodiges, flattant l'égo des adultes. Leur présence stimulerait les sociétés, susciterait curiosité, admiration, puis imitation. Ils changeraient les systèmes de pensée de l’intérieur. Ils créeraient des ponts. Ils rêveraient de paix et feraient rêver les autres.


Un siècle, peut-être deux. Et le monde pourrait basculer.


Je revois encore les grands vaisseaux s’élever du sol, remplis de nos enfants endormis, bercés par des chants anciens, enveloppés dans des cocons d’énergie douce. Ce n’était pas un adieu. C’était un acte de foi.


Certains d’entre nous pleuraient. D’autres regardaient l’horizon, fiers et tremblants.


Nous ne saurions peut-être jamais si ce choix fut le bon. Mais nous avons planté des graines dans la nuit.


Et déjà, sur leurs ondes tremblantes, un chant nouveau commence à naître.




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