Le voyage



Le voyage me semblait long.


Et pourtant, je n’avais pas quitté mon fauteuil.

Assis près de la fenêtre, j’écoutais le jour s’étirer sur la ville, dans un silence ouaté. Le café refroidissait lentement sur la table, tandis qu’une fine buée dansait sur la vitre, comme un prélude à l’invisible. J’étais là, immobile, et pourtant déjà en partance.


Le monde tangible semblait se dissoudre doucement, remplacé par une sensation ancienne, connue, comme un appel familier venu d’ailleurs. Des noms me traversaient l’esprit, des lieux flottaient entre deux pensées , je les reconnaissais tous. Des fragments d’histoires, des voix oubliées, des regards laissés en suspens.


Alors j’ai fermé les yeux.


Et j’ai marché.


Je suis d’abord retourné à Belleville, engloutie sous les flots. Christian m’attendait dans un ancien tunnel reconverti en mémoire vive. Julien scrutait l’écran translucide d’un simulateur effacé par le temps. Le passage du Gois brillait comme un fil d’or perdu dans les abysses. Nous n’avons rien dit , dans ce lieu, les mots sont superflus.


J’ai quitté la mer pour l’île, poussé par un souffle salé.


Noirmoutier s’est offerte à moi dans un silence ouaté. L’autocar avait disparu, mais la dune , elle, persistait. Le vent portait encore l’ode de celle qui récite aux goélands. Sous mes pas, les chemins de sable menaient vers d’anciens souvenirs, vers un banc de bois oublié, et une enfance rendue.


Puis le paysage s’est effacé comme une brume.


Je suis réapparu sur la planète Voilée. Le ciel était bas, lourd de songes suspendus. Ael m’attendait au bord d’un cratère. Elle m’a remis une boîte d’obsidienne. En l’ouvrant, j’ai entendu résonner les voix de mes propres récits, comme si chacun d’eux battait à l’intérieur de moi, toujours vivant, jamais tout à fait clos.


Et la boîte devint passage.


Je suis entré.

Le passeur d’âme se tenait dans la lumière grise. Il ne parlait pas, mais ses yeux contenaient tous les commencements. Il m’a montré une rive invisible, où les âmes patientaient, paisibles, certaines d’aller quelque part, même si nul ne savait où. J’ai reconnu parmi elles des visages que j’avais un jour esquissés, puis laissés en veille. Elles m’ont salué sans rancune.


Et puis vint l’île aux papillons.

Un paradis suspendu, aux couleurs mouvantes. Les arbres chuchotaient des promesses de métamorphose. Une fillette courait dans la lumière, les bras ouverts. Ses rires faisaient frissonner l’air. Un papillon se posa sur mon épaule, puis s’envola vers un ciel sans fin.


Et ce fut le retour.


Les contours des mondes se sont lentement estompés. Je sentais déjà la tiédeur du réel reprendre sa place autour de moi. J’ai rouvert les yeux. Le café était froid. Le jour avait bien commencé. Mais tout portait encore les traces du rêve.


Je suis resté là, quelques instants, le cœur ralenti, l’âme encore vibrante.

J’ai regardé la tasse vide.

Puis j’ai souri.


Car je savais déjà.


Ce voyage n’était pas une fin.

C’était une porte. Une de plus.

Et derrière elle, un autre sentier m’attendait.


Le prochain rêve approchait.

Je n’avais qu’à refermer les yeux… et écrire.





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