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Affichage des articles du juin, 2025

Azad

Le matin avait commencé comme les autres. Un ciel pâle, comme délavé par la poussière et le soleil. Azad marchait seul sur le chemin sec, une route de terre battue qui serpentait entre des collines pelées. Il n’attendait personne. Il ne fuyait rien non plus. À douze ans à peine, il avait déjà appris que le monde ne vous devait rien, surtout pas des explications. Il avait dormi sous un mûrier mort, mangé un quignon de pain trouvé la veille dans une maison vide, et repris sa marche. Il connaissait ce chemin : il menait vers les restes d’un ancien village, partiellement effacé par les combats. Il y retournait parfois, ramassait des objets, cherchait de quoi manger. C’était une routine, presque rassurante. Et puis, il y eut ce grondement. Un bruit lointain, au début. Mais profond. Différent. Azad leva la tête, plissant les yeux vers le ciel éclatant de lumière. Il ne vit rien. Mais le son persistait, sourd, comme si quelque chose d’énorme flottait derrière l’horizon. Il s’arrêta, tendit l’...

Un banc sous les étoiles

Il était une fois un vieil homme qui aimait s’asseoir, chaque fin d’après-midi, sur un banc en bois un peu usé, planté là entre deux platanes dans une rue animée d’une grande ville. Il venait toujours seul, avec sous le bras un vieux journal froissé et un petit sac contenant quelques pièces de monnaie. Il s’installait paisiblement, observait le va-et-vient des passants, et ne manquait jamais de tendre une pièce à une fillette qui faisait l’aumône non loin de là. La petite s’appelait Annie. Elle avait les yeux pétillants d’espoir malgré sa situation, une voix fluette qui débordait de vie, et un sourire franc qu’elle réservait au vieil homme chaque fois qu’il arrivait. Peu à peu, ils se sont mis à parler. Elle lui racontait ses rêves d’avenir, ses envies d’école, ses fantasmes de blouse blanche et de stéthoscope. Lui, l’écoutait avec bienveillance, ponctuant ses récits de conseils simples, de silences pleins de respect et d’encouragements sincères. Les saisons passèrent comme les pages d...

Un été à la Guérinière

Le 4 juillet 1943, le grondement des moteurs secoua le ciel au-dessus de la Vendée. Une escadrille de B-17, les célèbres “Flying Fortress” de l’US Air Force, fonçait vers son objectif : l’aérodrome de Château-Bougon, près de Nantes. Les bombes tombaient, l’acier chantait la guerre. L’un des appareils, touché à l’aile gauche par la défense allemande, entame une longue agonie. Le lieutenant Wilson, pilote du B-17, tenta de maintenir son cap. Deux chasseurs ennemis s’étaient lancés à sa poursuite. Il savait que l’avion ne tiendrait pas jusqu’à l’Angleterre. Il décide alors de mettre le cap vers la mer. Quelques minutes plus tard, au bord de l’île de Noirmoutier, les habitants du village de La Guérinière virent une silhouette argentée déchirer le ciel. L’avion, boitant comme un oiseau blessé, descendait dangereusement. À marée basse, la plage offrait une étendue de sable humide, une piste d’atterrissage improvisée. Dans un fracas d’écume, l’appareil toucha terre, glissa, puis s’immobilisa,...

Infinie mélodie

Le cahier repose sur mes genoux, ouvert, vierge. Le crayon attend. Moi aussi. Je suis venu ici sans idée précise. Juste l’envie de m’asseoir face à la mer et d’écouter. Parce que parfois, quand je n’ai plus les mots, c’est la musique qui me parle. Le souffle du vent est le premier à me rejoindre. Il glisse sur ma joue comme une main amie. Il ne dit rien de clair, juste une présence. Un frisson. Peut-être une promesse. Alors je trace un trait, une ligne simple. Une note posée, comme une voix qui commence à chanter, doucement. La mer s’approche, discrète. Elle avance, recule, avance encore, comme si elle n’osait pas me déranger. Pourtant, c’est elle qui me guide. Elle me donne le rythme. Pas une cadence rigide, non. Plutôt un balancement naturel, comme celui d’un cœur apaisé. Elle me rappelle que tout revient, que rien ne reste figé. Qu’une mélodie peut naître d’un seul souffle répété. Je note. Des sons lents, espacés. Comme des pas sur le sable. Le cri d’un oiseau traverse le ciel. Il f...

Le silence des Atlantes

Personne ne savait. Pas une onde, pas un écho, pas une rumeur n’avait percé jusqu’à la surface. Et pourtant, sous les mers, ils étaient là. Les Atlantes. Depuis les âges les plus reculés, ils avaient choisi la discrétion. Non pas par peur, mais par sagesse. Leur civilisation, plus ancienne que les premières cités humaines, avait évolué dans l’ombre liquide du monde. Là où la lumière s’effiloche, où les courants sculptent des cathédrales de corail, ils avaient bâti des cités flottantes, des réseaux de pensée, des systèmes énergétiques si subtils que la mer elle-même les protégeait. Leur technologie n’avait rien de mécanique. Elle était vivante. Organique. Fusion entre la science et les pulsations de l’océan. J’appartiens à ce peuple. Mon nom est Séléna, fille d’explorateurs et apprentie lisseuse d’ondes. Mon rôle : surveiller la surface, comprendre les Deux-Jambes, ces créatures étranges et imprévisibles, qui croient régner sur la Terre entière. — Tu dois te cacher, répétait Papily. Si ...

Sans retour

Assis sur le rocher, je pouvais constater la catastrophe. Nous avions accompli la mission. Les procédures avaient été respectées. Les charges posées, le compte à rebours enclenché. Les ordres, suivis à la lettre. Et pourtant, quelque chose s’était brisé en chemin. Le souffle de l’explosion avait tout balayé. Il ne restait plus rien, sinon cette colonne de fumée noire qui montait lentement dans le ciel, comme un reproche silencieux. Une forme massive, mouvante, presque majestueuse , trop belle pour être juste de la mort. Autour de moi, le sol était jonché de métal tordu, de restes indistincts. Mes companions… Je ne savais même pas où ils étaient tombés. Peut-être plus loin, happés par le souffle. Peut-être réduits à rien. Je ne ressentais rien. Ni douleur, ni soulagement. Juste ce froid, intérieur, qui s’installe quand tout ce qu’on croyait solide se dissout. On nous avait dit que c’était nécessaire. Que ce qui reposait là-bas ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Que c’était u...

Là où les lucioles s'éteignent

Il s’appelait Guy. Quand il était petit, il croyait que les nuages étaient des animaux qui avaient choisi le ciel comme refuge. Il leur envoyait des messages avec des cerfs-volants fabriqués en papier de bonbon. Il parlait aux cailloux, aux flaques d’eau, aux escargots. Le monde, pour lui, était un immense terrain de jeu, une toile fragile faite de rires, de silences et de mystères. Tout semblait possible. Même voler, s’il fermait les yeux assez fort. Guy vivait dans un village de pêcheurs entouré de marais salants, qui chantaient, et de forêts pleines d’ombres douces. Là-bas, les enfants n’apprenaient pas seulement à lire, mais à rêver. À écouter les choses qui ne parlent pas. À respecter les secrets du monde. Mais un jour, quelque chose changea. Ce ne fut pas brutal. Pas un orage, ni un deuil. Juste une dissonance. Un jour d’automne, un homme revint au village. Un homme d’ailleurs, vêtu de gris, aux mains raides comme le métal. Il avait été enfant ici, jadis, puis il était parti ...

Le précipice pour les nuls

Chapitre 1 : Introduction à la Catastrophe Ce matin, comme chaque matin, le monde s’est levé du pied gauche. On l’a entendu craquer, juste à la jonction tectonique entre l’éthique et le bon sens. Les journaux titraient en chœur : « Le précipice se rapproche, mais avec pédagogie. » Sur les plateaux télé, on s'interrogeait : – Faut-il sauter avant que ça s’effondre, ou attendre que le sol disparaisse sous nos pieds ? – Faut-il privatiser le précipice pour une meilleure gestion de la chute libre ? Un expert en géopolitique, lunettes carrées et mèche bien mise, affirmait : – Le précipice est une opportunité. Il faut l’aborder avec ambition. Chapitre 2 : Le manuel Un petit livre jaune faisait fureur dans les librairies : « Le Précipice pour les Nuls », par le professeur Z. Z , était docteur en tout et spécialiste de rien. Il avait compris une chose : si l’on ne peut pas éviter la fin, on peut au moins la commenter avec style. Extrait du chapitre 4 : Les différentes postures en cas de ch...

Papa m'a dit

Papa ne dit jamais "je t’aime". Il dit : — Mets ton pull. — Ne parle pas pour ne rien dire. — Tiens-toi droite. Il ne crie pas. Il ajuste. Il rectifie. Il remet en place , les objets, les horaires, les voix trop vives. Quand on est partis,il a ouvert la porte. Il a dit : — Faites ce qu’il faut. Et il est resté là, les bras ballants, comme s’il s’attendait à autre chose. Mais personne n’est revenu. Ni nous, ni elle. Chez lui, tout était silencieux. L’air y était plus froid. Plus sec. On y allait parfois pendant les vacances scolaires,comme un devoir qu’on ne comprend pas mais qu’on accomplit. Il disait : — On mangera à vingt heures. — Les chaussures restent dans l’entrée. — Ne gaspille pas l’eau chaude. Il y avait toujours un couteau à la bonne place, une serviette pliée sans faux pli. Le pain était découpé en tranches égales. Tout semblait rangé, sauf nous. Ma soeur posait des questions. — Pourquoi il nous regarde comme s’il attendait quelque chose ? — Est-ce qu’il est triste...

L'enfant et la Lumière

Les enfants pauvres, comme moi, erraient souvent dans les rues de Jérusalem. Ce jour-là n’avait rien d’exceptionnel. Le soleil frappait les murs de la ville d’une chaleur lourde. Les marchands criaient sur les places, les mendiants tendaient la main, les soldats passaient l’air fatigué. Moi, pieds nus dans une ruelle, je cherchais quelque chose à manger. Depuis des jours, la ville chuchotait. On parlait d’un prophète exécuté, d’un tombeau vide, de ses disciples cachés. On disait qu’un grand miracle allait venir. Mais ces paroles glissaient sur moi comme de l'eau sur la pierre. J’avais plus faim de pain que de promesses. Ce matin-là pourtant, un étrange frisson courait dans l’air. En approchant d’une maison du vieux quartier, je sentis quelque chose changer. Ce n’était ni le vent, ni le bruit des rues. C’était plus profond, comme un souffle invisible. Je me faufilai dans une étroite venelle, cherchant un coin d’ombre. Là, contre un mur chaud, je m’accroupis. Une fenêtre au-dessus de...

La nuit

La nuit tombait comme un manteau de velours sur la ville endormie. Les réverbères vacillaient, prisonniers d’une brume étrange qui semblait venue d’ailleurs. Dans son appartement silencieux, Guy referma le livre qu’il lisait depuis des heures. Ses paupières étaient lourdes, son souffle apaisé. Il éteignit la lampe, s’allongea sur le lit. Mais Guy le savait : la nuit n’était pas un simple refuge pour le corps fatigué. C’était un portail. Quand le sommeil l’envahit, quand ses muscles cessèrent de répondre, une lueur pâle s’éveilla au plus profond de son esprit. Lentement, imperceptiblement, une seconde existence s’arracha à la première. Dans l’obscurité totale de sa chambre, son esprit se détacha de son enveloppe charnelle. Une silhouette diaphane, auréolée d’un halo bleuâtre, flotta un instant au-dessus du lit. Puis, portée par une force ancienne, elle franchit les murs et se perdit dans l’obscurité de la ville. Guy entra dans le Nokturne, ce monde que seuls les voyageurs de l’esprit pe...

Le rocher de la mémoire

Guy, assis sur son rocher, était perdu dans ses pensées. Il venait souvent ici. Un promontoire granitique surplombant ce qui restait de la vallée de la Loire un désert de silice et de cendres où, jadis, les vignes couraient entre les coteaux. Trois siècles s’étaient écoulés depuis 2030, et pourtant, les cicatrices restaient vives. Le sol ne portait plus rien d’autre que les ruines vitrifiées des anciennes villes. L’air était respirable à certaines saisons seulement. Mais c’était ici, sur ce rocher précis, que Guy aimait se souvenir. Il faisait partie des Gardiens. Pas une caste, pas une élite. Juste ceux qui avaient accepté de porter la mémoire, quand le reste de l’humanité avait préféré oublier pour survivre. « 2030… », murmura-t-il, le regard perdu dans l’horizon rougeoyant. Ce n’était pas une attaque surprise, ni même un accident. La Troisième Guerre Mondiale, nucléaire celle-là, avait germé lentement. Les conflits climatiques, les flux migratoires incontrôlés, les crises alimentair...

Le silence

La ville hurlait. Le jour, elle éructait sans pudeur. Sirènes, klaxons, marteaux-piqueurs, cris impatients aux feux rouges, conversations suspendues entre deux notifications. Tout s’entrechoquait. Une cacophonie moderne qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Mais chaque soir, en rentrant chez moi, le Silence régnait en maître. Pas un silence simple, pas une absence de sons. Non. Un Silence vivant, palpable, presque doué de volonté. Dès que je refermais la porte de mon appartement, il s’installait comme une présence ancienne, lourde et dense. Le bruit du monde mourait à l’entrée, comme frappé d’interdit. Au début, je trouvais cela apaisant. J’en avais besoin, comme on a besoin d’eau après la poussière. Je m’asseyais sur le vieux fauteuil près de la fenêtre et j’écoutais… rien. Ou plutôt, j’écoutais lui. Ce silence qui n'était pas un vide mais un plein. Il enveloppait les murs, s’insinuait dans mes pensées, tamisait mes souvenirs. Mais peu à peu, j’ai compris qu’il ne s’agissait p...