Papa m'a dit



Papa ne dit jamais "je t’aime". Il dit :

— Mets ton pull.

— Ne parle pas pour ne rien dire.

— Tiens-toi droite.


Il ne crie pas. Il ajuste. Il rectifie. Il remet en place , les objets, les horaires, les voix trop vives.

Quand on est partis,il a ouvert la porte. Il a dit :

— Faites ce qu’il faut.

Et il est resté là, les bras ballants, comme s’il s’attendait à autre chose.


Mais personne n’est revenu.

Ni nous, ni elle.


Chez lui, tout était silencieux. L’air y était plus froid. Plus sec.

On y allait parfois pendant les vacances scolaires,comme un devoir qu’on ne comprend pas mais qu’on accomplit.


Il disait :

— On mangera à vingt heures.

— Les chaussures restent dans l’entrée.

— Ne gaspille pas l’eau chaude.


Il y avait toujours un couteau à la bonne place, une serviette pliée sans faux pli.

Le pain était découpé en tranches égales.

Tout semblait rangé, sauf nous.


Ma soeur posait des questions.

— Pourquoi il nous regarde comme s’il attendait quelque chose ?

— Est-ce qu’il est triste ?

Je répondais :

— Il est fatigué.

— Il pense trop.


Mais je n’en savais rien. J’inventais, pour qu’elle cesse d’espérer des gestes qui ne viendraient pas.


Il y avait pourtant des signes.

Un matin, il a préparé un bol pour chacun, sans rien dire.

Il a demandé si le chocolat était trop chaud.

C’était peu. Mais c’était là.


On les collectionnait, ces miettes de tendresse.

Un coin de serviette replié pour ne pas salir la jupe.

Un manteau posé sur nos épaules.

Une phrase lancée du bout des lèvres :

— Il fera froid demain.


Un soir, ma sœur a pleuré. Un cauchemar, peut-être.

Il est venu, en chaussettes, sans bruit.

Il a allumé la lumière, l’a regardée sans s’approcher.

— Ce n’est rien. Tu peux te rendormir.

Et il est reparti.


Pas un mot de plus.

Mais il était venu.

C’était rare.


Lorsque j’ai grandi, il l’a remarqué.

Il a dit :

— Tu changes.

Puis il a détourné les yeux.

Comme si me regarder était de trop.


Il n’a rien ajouté. Mais son silence était plus long que d’habitude. Plus lourd aussi.


Un jour, il s’est assis avec nous, à l’écart. Il a regardé nos mains s’activer, nouer des fils, tracer des formes.

Il a souri.

Un petit sourire, presque caché.


Et il a dit :

— Vous êtes minutieuses. Moi, je ne saurais pas faire.


C’était la première fois qu’il parlait sans corriger, sans ordonner.

On a gardé cette phrase longtemps.

Comme une perle perdue retrouvée au fond d’un tiroir.


Il ne dit toujours pas “je t’aime”.

Mais parfois, il dit :

— Tu peux venir quand tu veux.

— Je vous ai gardé une part.

— Repose-toi un peu.


Et dans ces mots simples, il y a tout ce qu’il n’arrive pas à dire autrement.

Un fil discret, noué à sa manière.


Papa m’a dit.

Et parfois, ça suffit.




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