Sans retour
Assis sur le rocher, je pouvais constater la catastrophe.
Nous avions accompli la mission. Les procédures avaient été respectées. Les charges posées, le compte à rebours enclenché. Les ordres, suivis à la lettre. Et pourtant, quelque chose s’était brisé en chemin.
Le souffle de l’explosion avait tout balayé. Il ne restait plus rien, sinon cette colonne de fumée noire qui montait lentement dans le ciel, comme un reproche silencieux. Une forme massive, mouvante, presque majestueuse , trop belle pour être juste de la mort.
Autour de moi, le sol était jonché de métal tordu, de restes indistincts. Mes companions… Je ne savais même pas où ils étaient tombés. Peut-être plus loin, happés par le souffle. Peut-être réduits à rien. Je ne ressentais rien. Ni douleur, ni soulagement. Juste ce froid, intérieur, qui s’installe quand tout ce qu’on croyait solide se dissout.
On nous avait dit que c’était nécessaire. Que ce qui reposait là-bas ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Que c’était une question de survie. Peut-être. Mais personne n’avait parlé du silence, après. De ce vide qui ronge, quand il ne reste plus rien à protéger.
Le vent s’était levé. Il charriait une poussière lourde, sèche, qui s’accrochait à la peau et au souffle. Je n’osais pas bouger. Pas encore. Il fallait regarder. Rester témoin. Ne pas détourner les yeux.
Longtemps, je suis resté là. Peut-être une heure. Peut-être deux. Le ciel avait commencé à pâlir. Une lumière étrange, presque dorée, glissait entre les nuages sales. Elle donnait aux ruines une beauté absurde, comme si le monde, en dernier geste, voulait rendre hommage à ce que nous venions de réduire à néant.
Je pensais à ce qu’il y avait sous terre, avant. À cette présence muette, enfouie, surveillée depuis des décennies. Un vestige d’une époque où l’homme croyait pouvoir inventer des fins du monde pour se rassurer. C’était censé être désamorcé depuis longtemps. Censé ne jamais servir. Et pourtant, au bout du compte, ce sont nos mains qui avaient activé le mécanisme.
Pas pour l’utiliser. Non. Pour le faire disparaître. Définitivement.
Mais en le détruisant, nous avions fait bien plus que ça. Nous avions libéré quelque chose. Pas une force. Une peur. Une conscience. L’idée nue que certains choix ne se défont pas. Qu’il est parfois trop tard pour choisir autrement.
Je me suis levé, les jambes raides, les yeux brûlants. La fumée montait toujours, lente et sûre. Elle resterait là longtemps, je le savais. Dans l’air, dans la terre, dans nos têtes.
On ne reviendrait pas sur ce qu’on avait fait. Personne n’écrirait de rapport honnête. Les images seraient classées, puis effacées. On parlerait de sécurité, de succès stratégique. On saluerait notre efficacité.
Mais moi, je savais.
Je savais que quelque chose s'était terminé ce jour-là. Et ce n’était pas seulement ce que nous étions venus détruire.
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