Le précipice pour les nuls



Chapitre 1 : Introduction à la Catastrophe


Ce matin, comme chaque matin, le monde s’est levé du pied gauche. On l’a entendu craquer, juste à la jonction tectonique entre l’éthique et le bon sens.


Les journaux titraient en chœur :


« Le précipice se rapproche, mais avec pédagogie. »


Sur les plateaux télé, on s'interrogeait :

– Faut-il sauter avant que ça s’effondre, ou attendre que le sol disparaisse sous nos pieds ?

– Faut-il privatiser le précipice pour une meilleure gestion de la chute libre ?


Un expert en géopolitique, lunettes carrées et mèche bien mise, affirmait :

– Le précipice est une opportunité. Il faut l’aborder avec ambition.


Chapitre 2 : Le manuel


Un petit livre jaune faisait fureur dans les librairies :

« Le Précipice pour les Nuls », par le professeur Z. Z , était docteur en tout et spécialiste de rien. Il avait compris une chose : si l’on ne peut pas éviter la fin, on peut au moins la commenter avec style.


Extrait du chapitre 4 : Les différentes postures en cas de chute :


Le Fataliste : se jette volontairement, en criant « Je l’avais dit ! »


Le Technocrate : propose de créer un comité de pilotage de la descente.


L’Idéaliste : espère que la gravité changera d’avis à mi-parcours.


Le Capitaliste : vend des parachutes percés à prix d’or.



Chapitre 3 : La conférence


Ce matin-là, une grande conférence internationale s’ouvrait à Davo-Ouf, ville suisse spécialisée dans le déni de l’effondrement. Thème de l’année :


 « Construire des ponts au bord du gouffre. »




Tous les pays étaient là. Sauf ceux qui avaient déjà glissé.


Le Président de la Démocratie Démocratique de l’Est Occidental prit la parole :

– Nous croyons fermement que l’avenir se trouve derrière nous.

Applaudissements polis.


Le Ministre des Armées Atomiques ajouta :

– Nous avons des missiles à tête éthique. Ils explosent uniquement sur les régimes moralement ambigus.

Standing ovation.


Pendant ce temps, la salle vibrante de PowerPoint ignorait l’étrange grondement sous le plancher.


Chapitre 4 : L’oubli


L’histoire, paraît-il, enseigne des leçons.


Mais comme l’humanité a la concentration d’un poisson rouge sous anxiolytiques, elle oublie chaque guerre dès qu’on sort une nouvelle saison de télé-réalité géopolitique :


« Love & Missiles : l’émission où des dirigeants célibataires choisissent leur prochain conflit. »




Le public vote. Le perdant déclenche un embargo humanitaire.

Émotion garantie.


Chapitre 5 : La solution


À 18h12, l’ONU proposa une résolution pour interdire la gravité.

La Chine s’abstint.

Les États-Unis demandèrent une clause dérogatoire pour les avions de chasse.

Le Vatican suggéra une prière facultative en cas de chute libre.


Chapitre 6 : Épilogue


À 18h13, la Terre éternua.


On ne sait plus très bien ce qui s’est passé après. Peut-être un bruit sourd, un glissement, un « plop » ridicule. On raconte que le professeur Z a laissé une dernière annotation dans son livre, écrite au crayon sur la page de garde :


« Le précipice n’est pas au bord du monde. C’est le monde qui est au bord du précipice. »




Mais à ce moment-là, plus personne ne savait lire.




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