Azad
Le matin avait commencé comme les autres. Un ciel pâle, comme délavé par la poussière et le soleil. Azad marchait seul sur le chemin sec, une route de terre battue qui serpentait entre des collines pelées. Il n’attendait personne. Il ne fuyait rien non plus. À douze ans à peine, il avait déjà appris que le monde ne vous devait rien, surtout pas des explications.
Il avait dormi sous un mûrier mort, mangé un quignon de pain trouvé la veille dans une maison vide, et repris sa marche. Il connaissait ce chemin : il menait vers les restes d’un ancien village, partiellement effacé par les combats. Il y retournait parfois, ramassait des objets, cherchait de quoi manger. C’était une routine, presque rassurante.
Et puis, il y eut ce grondement.
Un bruit lointain, au début. Mais profond. Différent. Azad leva la tête, plissant les yeux vers le ciel éclatant de lumière. Il ne vit rien. Mais le son persistait, sourd, comme si quelque chose d’énorme flottait derrière l’horizon.
Il s’arrêta, tendit l’oreille.
Au même moment, à très haute altitude, un avion militaire filait dans le ciel. Le pilote suivait une ligne verte sur son écran. Le système de navigation indiquait que la cible avait été atteinte : "Zone grise 27B — secteur hostile."
La voix dans son casque confirma :
— Cible verrouillée. Autorisation de largage confirmée.
Il activa le dispositif.
Mais ce que le pilote ignorait, c’est que la dernière mise à jour du système cartographique n’avait pas pris en compte une légère dérive des vents. À cette altitude, un petit décalage suffisait.
La bombe tomba, précise mais ailleurs.
Au sol, Azad s’était accroupi. Il avait aperçu quelque chose au bord du chemin : une boîte métallique, rouillée mais intacte. Il tendit la main, l’ouvrit. À l’intérieur, un reste de biscuit, presque intact. Il sourit, leva les yeux… et vit une lumière, fugace, au loin.
Puis, une seconde plus tard, le sol vibra. Pas sous ses pieds, mais quelque part au sud. Une onde. Un souffle. Lointain mais terrible. Un nuage sombre s’éleva derrière une crête.
Azad resta immobile.
La bombe venait d’exploser là où il aurait dû être, s’il avait marché un peu plus vite. Ou s’il n’avait pas vu cette boîte. S’il n’avait pas eu faim.
Il ne comprit pas tout de suite. Il comprit seulement que le monde était devenu silencieux, d’un silence étrange, neuf. Le genre de silence qui suit un cri.
Il reprit sa marche, lentement. Le biscuit dans une main, la boîte dans l’autre. Le ciel au-dessus de lui était redevenu bleu.
Plus tard, très loin d’ici, un analyste technique nota l’anomalie sur un rapport : "Erreur de positionnement , cible manquée de 3,2 kilomètres." Le pilote ne sut jamais exactement où était tombée sa charge.
Azad, lui, ne savait même pas que quelqu’un avait voulu viser cet endroit.
Mais ce jour-là, sans le savoir, il avait survécu à un calcul incorrect.
Une erreur de logiciel.
Un vent imprévu.
Un détail.
Et cela lui avait suffi pour vivre un jour de plus.
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