Le dossier rouge



Le président se tenait immobile devant le miroir, les mains appuyées sur le marbre froid du lavabo. La lumière crue des appliques dessinait sur son visage les rides profondes creusées par le pouvoir, l’usure et le doute. Il restait là depuis de longues minutes, à observer ce reflet qui le défiait en silence.


Un homme seul. Un homme face à une décision.


Dans la pièce attenante, sur le bureau en acajou, le dossier rouge attendait. Le papier était encore intact, mais son poids semblait immense. À l’intérieur, rien que des rapports, des évaluations, des calculs, des conséquences. Tout avait été analysé, simulé, prédit ,tout, sauf l'essentiel : ce que cela ferait de lui.


Il savait qu’aucun retour en arrière ne serait possible. La signature au bas de ce document ne serait pas un simple acte administratif, mais une cassure. Une bascule. Un instant que l’histoire retiendrait, ou oublierait, au prix d’un silence pesant.


Il fixa le miroir, non pas pour se retrouver, mais pour sonder ce qu’il était devenu. La fonction avait tout absorbé : le sommeil, les certitudes, même les colères. Restait cette silhouette figée, indécise, au bord d’un gouffre dont nul ne connaissait la profondeur.


Il ferma les yeux un instant. Pas pour se protéger, mais pour tenter de faire le vide. Les voix dans sa tête ne se taisaient jamais : celles des experts, des stratèges, des conseillers, des militaires. Tous attendaient qu’il tranche. Comme s’il suffisait d’un seul homme pour faire ou défaire le destin.


Il retourna dans le bureau. Le parquet craquait sous ses pas. Le silence semblait presque hostile.


Il s’assit. Le cuir du fauteuil grinça doucement. Le dossier rouge était là, posé comme une question sans appel. Il l’ouvrit. Relut les dernières lignes.


Tout était prêt. Tout attendait.


Le stylo, placé soigneusement sur la droite, glissa entre ses doigts. Il hésita. Un souffle. Un vide. Puis, enfin, un trait de plume.


Il signa.


Le geste fut net, maîtrisé, presque solennel. Il reposa le stylo. Referma le dossier. Le monde venait peut-être de changer.


Mais alors qu’il s’enfonçait dans son fauteuil, le regard perdu dans l’obscurité, la porte s’ouvrit discrètement. Son chef de cabinet entra, visiblement perturbé.


— Monsieur le Président, des contre-rapports viennent d’arriver. Une partie du Conseil refuse l’activation du protocole. Certains gouvernements contestent votre autorité dans cette procédure. Il va falloir attendre.


Le président resta silencieux. Son regard glissa lentement vers le dossier.


Puis il déclara d’une voix neutre :


— Il semble… qu’un seul homme ne puisse pas tout décider.


Un silence flotta. Ce n’était ni une défaite, ni un soulagement. Juste un fait. Brut, irréfutable.


Il se leva sans un mot. Le monde continuerait, mais pas selon sa seule volonté.




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