Le silence
La ville hurlait.
Le jour, elle éructait sans pudeur. Sirènes, klaxons, marteaux-piqueurs, cris impatients aux feux rouges, conversations suspendues entre deux notifications. Tout s’entrechoquait. Une cacophonie moderne qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter.
Mais chaque soir, en rentrant chez moi, le Silence régnait en maître.
Pas un silence simple, pas une absence de sons. Non. Un Silence vivant, palpable, presque doué de volonté. Dès que je refermais la porte de mon appartement, il s’installait comme une présence ancienne, lourde et dense. Le bruit du monde mourait à l’entrée, comme frappé d’interdit.
Au début, je trouvais cela apaisant. J’en avais besoin, comme on a besoin d’eau après la poussière. Je m’asseyais sur le vieux fauteuil près de la fenêtre et j’écoutais… rien. Ou plutôt, j’écoutais lui. Ce silence qui n'était pas un vide mais un plein. Il enveloppait les murs, s’insinuait dans mes pensées, tamisait mes souvenirs.
Mais peu à peu, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas que d’un simple phénomène acoustique.
Le Silence m’attendait.
Il se nourrissait de moi.
Et chaque nuit, il gagnait du terrain.
Les premiers jours, ce furent des détails. Le tic-tac de l’horloge, pourtant régulier, semblait s’estomper à mesure que le soir tombait. Puis ce fut le frigo, muet comme une tombe. Pas un cliquetis, pas un souffle. Même mes propres gestes devenaient discrets, feutrés, absorbés.
Je me mis à parler à haute voix, pour combler le vide. Mais ma voix sonnait faux, déplacée, comme si elle dérangeait une règle tacite. Elle résonnait à peine, comme étouffée dans du coton. Bientôt, je n’eus plus envie de parler. Et alors que je me taisais, le Silence semblait… satisfaire sa faim.
Je réalisai une chose effrayante : ce silence-là avait une mémoire.
Il retenait mes mots, les derniers murmures de ma journée. Il les digérait. Il me dépossédait.
Une nuit, je fis un rêve étrange. J’étais dans un désert blanc, sans ciel ni sol, juste suspendu dans un rien silencieux. Une voix m’y attendait. Elle n’était ni masculine ni féminine, ni humaine ni divine. Elle dit simplement :
"Tu as fui le vacarme, mais le vrai bruit, c’est toi."
Je me réveillai en sursaut. Et dans ma gorge, un cri voulait sortir. Mais il ne sortit pas.
Le Silence me regardait.
Il avait pris forme. Non pas une silhouette humaine, mais une densité. Une présence qui palpitait dans les coins sombres de mon appartement, entre les pages de mes livres, sous les lames du parquet. Il n’était plus une absence de sons, il était une volonté.
Ce matin-là, je n’ai pas entendu la rue.
Pas de klaxon, pas de brouhaha.
J’ai ouvert la fenêtre : la ville était figée.
Le Silence avait gagné.
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