L'enfant et la Lumière



Les enfants pauvres, comme moi, erraient souvent dans les rues de Jérusalem.

Ce jour-là n’avait rien d’exceptionnel. Le soleil frappait les murs de la ville d’une chaleur lourde. Les marchands criaient sur les places, les mendiants tendaient la main, les soldats passaient l’air fatigué. Moi, pieds nus dans une ruelle, je cherchais quelque chose à manger.

Depuis des jours, la ville chuchotait. On parlait d’un prophète exécuté, d’un tombeau vide, de ses disciples cachés. On disait qu’un grand miracle allait venir. Mais ces paroles glissaient sur moi comme de l'eau sur la pierre. J’avais plus faim de pain que de promesses.

Ce matin-là pourtant, un étrange frisson courait dans l’air. En approchant d’une maison du vieux quartier, je sentis quelque chose changer. Ce n’était ni le vent, ni le bruit des rues. C’était plus profond, comme un souffle invisible.

Je me faufilai dans une étroite venelle, cherchant un coin d’ombre. Là, contre un mur chaud, je m’accroupis. Une fenêtre au-dessus de moi était entrouverte. Par l’interstice, une lumière étrange s’échappait : pas celle du soleil, mais une clarté douce, mouvante, presque vivante.

Je me redressai lentement. Par la fente, je vis une pièce remplie de visages tendus, les yeux clos. Le silence y régnait. Puis un vent léger, comme venu de nulle part, parcourut la salle. Les flammes apparurent alors, fines et brillantes, au-dessus de chaque tête. Ce n’était pas du feu ordinaire : les flammes ne brûlaient pas, elles dansaient comme des esprits.

Les visages changèrent. La peur fit place à la joie. Certains pleuraient, d’autres levaient les bras, et bientôt, des voix s’élevèrent. Ils parlaient dans des langues étranges que je ne comprenais pas. Pourtant, en les écoutant, je sentis quelque chose se déposer en moi. Une chaleur douce. Une paix.

Je restai longtemps tapi dans l’ombre, les yeux levés vers cette lumière invisible. Jamais je n’avais vu pareille chose. Un enfant des rues n’est pas facile à émerveiller. Mais ce que je voyais là dépassait tout ce que j’aurais pu imaginer.

Le temps passa. Peu à peu, le vent cessa, les flammes s’évanouirent. Les voix devinrent plus calmes. Des pas résonnèrent dans la pièce, et les disciples commencèrent à sortir. Bientôt, une foule se rassembla dans les rues. Les visages étaient changés, les mots pleins d’une force nouvelle.

Moi, je restai en retrait. Je n’avais pas parlé, je n’avais pas été vu. Mais je savais. Quelque chose était descendu ce jour-là, invisible et réel. Et je l’avais vu.

Depuis ce jour, je ne compris pas mieux les discours des grands. Mais je compris ceci : il existe une lumière que nul ne peut éteindre, un feu que même les cœurs vides peuvent reconnaître.

Et parfois, quand je repassais dans cette ruelle, je levais les yeux vers la fenêtre entrouverte. Il me semblait toujours y voir, dans un souffle du vent, le reflet d’une flamme dansante.

Les années ont passé. J’ai grandi dans les rues, les mains calleuses, le ventre souvent creux. Mais au fond de moi brûlait cette mémoire, intacte. Quand le monde devenait trop dur, quand la nuit semblait sans fin, je repensais à ce feu qui ne consumait pas, à cette paix offerte sans condition.

Je compris peu à peu que ce n’était pas un miracle réservé aux sages ni aux puissants. C’était un don pour tous , même pour un enfant oublié des ruelles. Ce jour-là, sans le savoir, j’avais reçu plus qu’un spectacle : une promesse. Celle qu’au-delà de la faim, de la peur, de l’abandon, une force douce et libre pouvait habiter le cœur le plus pauvre.

Depuis, je n’ai plus jamais marché seul.




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