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Affichage des articles du septembre, 2025

Face à la mer

Face à la mer, la beauté du paysage s’imposait . Les vagues se succédaient, dociles et régulières, effaçant les traces laissées sur le sable. Autour, les silhouettes assises goûtaient le même spectacle, chacune dans son silence. Le temps semblait immobile, presque sacré. Puis tout bascula. D’abord, ce fut une vibration dans l’air, à peine perceptible, comme un bourdonnement lointain. Ensuite, le ciel, d’un bleu limpide, s’assombrit d’ombres mouvantes. Des objets volants surgirent à l’horizon, grandissant à mesure qu’ils approchaient. Leur formation géométrique trahissait une logique, une mécanique froide. Les regards se levèrent. L’étonnement glissa vers l’effroi. Ils survolèrent le petit port et, dans une précision implacable, ouvrirent leurs flancs. Des bombes chutèrent. La première frappa le quai : une explosion aveuglante pulvérisa pierres et corps. Le souffle brûlant projeta des silhouettes à terre. La mer se cabra comme frappée de plein fouet, ses vagues se retirant pour revenir ...

La spirale

Parfois, on rêve de fuir l’instant présent. On voudrait l’abandonner comme une peau trop lourde, se glisser ailleurs, n’importe où. Madeline, elle, y songeait souvent. Ses jours lui paraissaient ternes, ses nuits trop longues, et chaque matin recommençait avec la même fatigue. C’est une nuit de pluie que la brèche apparut. Sur le mur de sa chambre, une ombre se mit à tourner sur elle-même, comme un filament de fumée. Elle s’élargit, se replia, traça des cercles toujours plus profonds. Une spirale. Vivante. Elle battait comme un cœur. Madeline, hypnotisée, tendit la main. Et aussitôt, le mur se dissout. Elle flottait désormais dans un tunnel de lumière et d’ombre mêlées. La spirale l’enveloppait, la portait à travers ses anneaux. Et dans chacun s’ouvrait une fenêtre. Elle se vit rire dans un jardin éclatant de soleil. Plus loin, elle se découvrit vieille femme paisible au bord de la mer, un carnet posé sur ses genoux. Dans un autre cercle, elle était seule, errant dans une chambre grise...

Retour vers le passé

Guy, au fond de son lit, n’arrivait pas à trouver le sommeil. Les pensées se bousculaient dans sa tête, se chevauchaient sans répit, passant de la plus douce à la plus difficile. Les souvenirs de son enfance se mêlaient à ses regrets d’adulte, ses espoirs étouffés croisaient ses échecs. Chaque fois qu’il croyait apaiser son esprit, une nouvelle vague d’images revenait le hanter. Il tourna et retourna sous les draps, le regard fixé au plafond qu’il connaissait par cœur. Rien n’y faisait. Le sommeil, ce soir-là, s’obstinait à le fuir. Puis, soudain, la douce lumière de sa lampe de chevet changea d’intensité. Elle se mit à briller d’un éclat aveuglant, comme si une étoile entière s’était logée dans l’ampoule. Guy, surpris, ferma aussitôt les yeux pour se protéger. Quand il les rouvrit… tout avait changé. La chambre n’était plus la sienne. Le papier peint défraîchi avait disparu. À sa place, des murs clairs décorés d’affiches d’un autre temps : une vedette yéyé, une voiture aux lignes rond...

Le jour qui pouvait tout changer

Le jour avait du mal à faire apparaître ses premiers rayons de soleil. Un ciel lourd, saturé de cendres, recouvrait le monde d’un linceul gris. Nous étions là, serrés les uns contre les autres, dans les ruines d’un ancien hangar transformé en refuge. Tous les regards fixaient l’horizon, dans l’attente d’un miracle qui n’était plus une certitude, mais une nécessité : voir le soleil, sentir sa chaleur, croire que la vie pouvait encore tenir. Depuis l’explosion nucléaire, la lumière s’était faite rare,  Chaque aurore était devenue un jugement silencieux : la Terre se laisserait-elle encore traverser par le jour ? Ou allait-elle s’éteindre définitivement sous nos fautes accumulées ? Un murmure parcourait le groupe : si le soleil paraissait aujourd’hui, cela prouverait que l’atmosphère, malgré la blessure infligée, pouvait cicatriser. Ce serait le signe que l’humanité avait encore une chance, mince et fragile, de ne pas s’effacer. Alors nous attendions. Et dans cette attente, chacun viv...

Cent pour cent

Sur Aldébaran, le temps était une flèche. Sur Terre, il devenait un labyrinthe. Et pour franchir ses détours, il ne suffisait pas de vivre cent années : il fallait cent récits. Ces récits, je les ai déposés un à un, comme des pierres sur le rivage. Ils étaient des signes, des veilles, des éclats de voix lancés dans la nuit. Et peu à peu, de ces éclats naquit un cortège, une assemblée silencieuse qui m’accompagnait vers l’horizon. Ils n’étaient plus seulement des personnages. Ils étaient forces et fondamentaux , figures mouvantes qui m’ont guidé. L’un portait la lumière fragile d’une lanterne que nulle tempête ne pouvait éteindre. Un autre incarnait la quête blessée, l’interrogation sans fin qui ronge et qui éclaire tout à la fois. Un autre encore avançait comme une racine, sûr et inébranlable, rappelant que l’on ne bâtit rien sans terre sous ses pas. Certaines apparurent comme des flammes, jaillissantes et brèves, d’autres comme des fleuves, patientes et fécondes. Il y eut aussi des gu...

Le chemin

Lorsque l’on part sur le chemin de l’école, à La Guérinière, insouciant comme seul un enfant peut l’être, on ne s’imagine pas ce que peut être demain. Le vent, souvent, accompagne la marche. Il se glisse dans les cheveux, soulève les feuilles de varech échouées sur le sable, porte avec lui des odeurs de sel et d’océan. On avance sans hâte, le cartable au dos, les yeux happés par les dunes qui bordent la route, par l’éclat du soleil qui se reflète sur l’Atlantique. Ce chemin-là, je le revois encore. Il partait du cœur du village, serpentait entre les petites maisons blanches aux volets bleus, puis s’ouvrait soudain vers la mer. Le matin, la lumière baignait tout d’une clarté laiteuse, comme si chaque pas me conduisait vers un monde encore endormi. J’y marchais sans comprendre que, déjà, je construisais mes souvenirs. À cet âge, on croit que l’école est le but, que le présent suffit à remplir la journée. On ne sait pas encore que demain, ce demain invisible, se prépare dans chaque instan...

Le Gois des retrouvailles

La destinée avait tracé ses lignes imprévisibles, et mes pas m’avaient éloigné de toi. Était-ce une fuite, une nécessité, ou simplement l’orgueil de croire qu’on peut vivre sans ce qui nous est vital ? J’avais cru, un temps, que m’éloigner de toi serait salutaire. Mais très vite, ton absence s’est muée en blessure. Chaque jour, ton souvenir revenait, obstiné, parfois doux comme une caresse, parfois brûlant comme un reproche. Je t’entendais dans le silence des soirs, je te voyais dans mes songes, et ton nom, que je n’osais prononcer à voix haute, brûlait mes lèvres. — Pourquoi es-tu restée si présente en moi ? demandais-je au vent, comme si tu pouvais l’entendre. Le vent, lui, ne répondait pas. Mais je savais qu’au-delà des kilomètres, tu respirais encore. Et puis, ce matin, j’ai décidé de revenir. Comme on revient à une promesse qu’on n’a jamais tenue. Mon cœur battait comme à la veille d’une déclaration, mes mains tremblaient sur le volant. J’avais peur et j’avais hâte, à la fois. La ...

Symbiose au couchant

Le soleil s’inclinait doucement vers la mer, comme un voyageur fatigué retrouvant son port d’attache. Le ciel, en feu, se fissurait de nuances d’orange et de pourpre, et les vagues, patientes, se teintaient d’or. Le feu et l’eau, si différents, devenaient pourtant un seul et même souffle : celui d’une symbiose fragile mais éclatante. Sur le rivage, Dédé et Ferdinand regardaient ce spectacle. Deux silhouettes immobiles, côte à côte, mais deux vies que tout semblait opposer. Dédé, ancien militaire, avait appris à marcher droit, à obéir aux règles, à tenir son rang sans fléchir. Sa carrière avait suivi des lignes nettes : la rigueur de l’uniforme, puis, plus tard, la régularité rassurante de la distribution automatique. Les machines, avec leur logique précise et leurs gestes répétitifs, avaient prolongé la discipline qu’il connaissait déjà. La stabilité, voilà ce que Dédé avait cherché après les marches et les missions. Ferdinand, lui, avait connu une route bien plus accidentée. Sa vie ét...

L' état de veille

La nuit allait couvrir le village de son manteau noir. Au loin, les dernières lueurs s’accrochaient à l’horizon comme si elles hésitaient à disparaître. Puis le silence se posa doucement, ponctué par le bruit régulier d’un volet qu’on refermait, par l’aboiement lointain d’un chien. Les maisons s’endormaient une à une, prisonnières du rythme immuable des jours. Dans une chambre mansardée, un jeune garçon attendait ce moment avec une impatience fébrile. Ses parents croyaient qu’il rêvassait, qu’il s’acharnait sur ses bricolages sans importance. Ils ne savaient pas. Ils ne pouvaient pas savoir. Sur son bureau encombré reposait un appareil singulier, assemblé de bric et de broc. Fils torsadés, circuits usés, condensateurs rapiécés… tout cela ne ressemblait en rien aux machines modernes. Mais pour lui, c’était plus qu’un récepteur : c’était une porte. Chaque soir, il laissait tomber le casque sur ses oreilles, ajustait les boutons avec des gestes précis, et s’enfonçait dans un univers que n...

Ne pas oublier

Où que nos pas nous mènent, il y a toujours ce souffle invisible qui nous rattrape. Le vent. Pas seulement celui qui gifle le visage ou couche les arbres, mais ce vent plus intime, presque secret, qui se glisse dans la mémoire et ramène, comme des graines, les images de l’enfance. À Yutz, dans le Grand Est, où Guy s’était installé, l’air portait d’autres parfums : la Moselle qui longe la ville, les forêts voisines, les saisons marquées. Mais parfois, au détour d’une rue, une brise venue de nulle part lui caressait le visage. Alors, dans ce souffle, il retrouvait le goût du sel sur ses lèvres, l’odeur des marais salants et le cri des mouettes. Noirmoutier surgissait, entière, depuis le plus profond de sa mémoire. Il revoyait les digues chauffées par le soleil, les pins maritimes qui ployaient sous la poussée du vent d’ouest, et leurs cerfs-volants colorés qui s’élançaient vers le ciel. Chaque bourrasque lui rappelait la promesse de liberté qu’il ressentait enfant, les yeux fixés sur l’h...

Brouillard

Personne ne l’avait vu arriver. Pas de nuages sombres, pas de grondement de tonnerre. Le brouillard s’était simplement glissé dans la rue au petit matin, mince voile translucide que l’on croyait éphémère. On l’avait trouvé presque charmant, d’une beauté étrange, donnant aux contours de la ville un aspect de rêve. Mais il n’avait pas disparu. Jour après jour, il épaississait son manteau. Les réverbères n’étaient plus que des halos imprécis, les silhouettes s’effaçaient à quelques mètres à peine. Même les sons semblaient s’y noyer, étouffés, avalés par une ouate lourde. Le silence devenait si dense qu’il paraissait solide. La ville s’était rétractée. Les habitants, d’abord intrigués, puis inquiets, ne sortaient plus qu’à contrecœur. Les commerces fermaient un à un. On ne se reconnaissait plus dans les rues : était-ce vraiment son voisin qui passait à quelques pas, ou une ombre trompeuse ? On se surprenait à frissonner devant des silhouettes banales. Puis vinrent les murmures. Certains di...

L' attente

Il vivait seul, dans un appartement ordinaire, au cœur d’une ville sans horizon. Ses journées s’écoulaient dans une monotonie sans relief, rythmées par de petits rituels : préparer un café tiède, ranger quelques papiers, puis s’asseoir dans son fauteuil, face à l’écran qui l’accompagnait plus fidèlement que quiconque. Ce n’était pas une chaîne habituelle qu’il regardait. La télévision diffusait, en continu, l’image fixe et mouvante d’une webcam : le passage du Gois, cette route submersible qui relie le continent à l’île de Noirmoutier. Il n’était pas de là-bas, n’y avait jamais vécu, et pourtant ce lieu l’obsédait. Le flux des marées, l’eau qui recouvrait puis libérait le passage, les silhouettes furtives des voitures et des cyclistes, tout cela le fascinait. Il pouvait passer des heures à contempler ce théâtre minéral et aquatique, comme si chaque marée lui promettait une révélation. La nuit, ses rêves prolongeaient la vision. Le pays des songes devenait le pays du vent et du sel. Il ...

Cœurs Vendéens , le mur

L’exode avait été brutal. En Moselle, les ordres allemands tombaient comme des coups de hache. Quitter sa maison, abandonner son travail, tout laisser derrière soi pour aller ailleurs”. Ferdinand se souvenait encore du jour du départ : des charrettes pleines d’affaires mal ficelées, des enfants accrochés aux jupes de leurs mamans , des hommes qui détournaient le regard pour ne pas pleurer. Lui, fils de mineur, n’avait emporté que le strict nécessaire : quelques vêtements, un vieux couteau, une carte de France chiffonnée. Sur ce morceau de papier, un nom lui était resté en tête : Noirmoutier. Après des jours d’errance, il posa enfin le pied sur l’île. L’air y avait un goût de sel, presque piquant, qui lui brûla la gorge et le fit tousser. Mais ce n’était pas la poussière noire des mines : c’était une brûlure vivante, celle de la mer. Il respira profondément. Ici, pensa-t-il, il pouvait recommencer. Et ce fut vrai, du moins pour un temps. Sa rencontre avec Madeleine, une jeune femme des ...

L' autre demain

L’heure était arrivée. Maintenant je dois me lever. Comme chaque matin, mes paupières s’ouvrent avec une lenteur agaçante. Le premier réflexe, toujours le même : lancer le flot de données numériques. Les symboles défilent devant mes yeux, s’ajustant à mon rythme cardiaque. Cela me donne l’impression de boire un café invisible, une sorte de mise en route intérieure. Pendant quelques minutes, je savoure cette régénération avant de me préparer. Enfin, je quitte la maison. Dehors, l’air est tiède, presque trop parfait. Le ciel a une clarté laiteuse, comme s’il avait été poli dans la nuit. Les rues sont étonnamment calmes : aucun klaxon, aucun désordre. Les véhicules glissent avec la précision de danseurs, et les passants avancent d’un pas régulier, chacun absorbé dans sa propre bulle. Je me fonds dans le flux, comme toujours. Sur le chemin du centre, je remarque parfois des détails qui me troublent : un enfant qui trébuche, un vieil homme au souffle court. Ces fragilités m’émeuvent. Elles ...

Murphy le dit

Avec hésitation je prends la télécommande. Comme un automate, je sélectionne une chaîne, sans réfléchir, car j’affiche toujours la même : une chaîne d’informations. Le geste est mécanique, presque rassurant. Murphy, accoudé sur l’accoudoir du canapé, ricane : — Si un geste peut devenir une dépendance, il le deviendra. Et tu appelleras ça : « s’informer ». L’écran s’allume et le générique explose, pompeux, héroïque, comme s’il allait annoncer la découverte de la vérité ultime. On m’assène que l’actualité ne dort jamais. Moi non plus, du coup. Murphy griffonne déjà dans son carnet : — Si une phrase peut sembler intelligente et creuse à la fois, elle sera répétée en boucle. Les experts arrivent, maquillés, cravatés, gonflés d’importance. L’un prédit la catastrophe, l’autre l’embellie, le troisième parvient à combiner les deux pour n’avoir jamais tort. Chacun coupe la parole à l’autre avec la frénésie d’un combat de coqs sous antidépresseurs. Murphy jubile : — Si trois experts peuvent s’an...

Terra Prime

Les cellules avaient été déposées comme prévu. Les instruments, suspendus dans le silence de la salle d’observation, enregistraient la moindre vibration. Parmi les échantillons, un seul concentrait toutes les attentions : le modèle nommé Terra Prime. Depuis son activation, il échappait aux prédictions. Ses molécules semblaient animées d’une logique autonome. Elles s’assemblaient, se séparaient, inventaient de nouveaux réseaux, de nouvelles formes, comme si elles se souvenaient d’un programme ancien que nul protocole n’avait écrit. Aujourd’hui, une nouvelle variable fut introduite. Non pas un simple ajustement de densité ou d’énergie, mais une donnée plus subtile : la saison. Un mot retrouvé dans des archives oubliées, empreint d’images et d’émotions. Alors, l’environnement de Terra Prime se modifia. La lumière se fit dorée, les parois projetèrent des ombres mouvantes. L’air se chargea d’humidité et d’effluves invisibles. L’automne naquit. Les molécules réagirent aussitôt. Elles s’assem...