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L' aventure ne s' arrête pas là

Allumer la télévision, en 2026, est devenu un geste lourd de conséquences. Chaque bulletin d’information apportait son lot de drames : crises politiques, menaces de guerre, catastrophes environnementales… La peur semblait ronger la planète sans relâche. À La Guérinière, sur l’île de Noirmoutier, Guy vivait seul dans une modeste maison tournée vers la mer. À soixante-onze ans, il aimait encore marcher le long des dunes pour respirer. Sur un petit meuble, un cadre accueillait la photo de ses deux filles, enfants. Elles avaient pris leur envol depuis longtemps, avec des contacts espacés mais réconfortants, de temps à autre. Guy étouffa un soupir et éteignit la télévision. — Ils finiront par nous rendre fous avec leurs prédictions de malheur… Il enfila sa veste et sortit. Le vent marin, d’ordinaire apaisant, portait ce matin-là une tension mystérieuse. Il longea la plage, ses pas s’enfonçant dans le sable encore humide de la nuit. C’est alors que le ciel changea. Une lueur étrange, métalli...

Comme un oiseau sans ailes

Avant, Louis vivait pour la course. Pas seulement pour les médailles qui scintillaient autour de son cou ou les hymnes qui vibraient sous les projecteurs. Non… Il courait pour ce moment suspendu où ses pieds ne touchaient presque plus le sol, où l’air devenait son compagnon le plus fidèle. Il courait pour la sensation d’être un peu au-dessus du monde. Les journaux titraient son nom, les enfants voulaient sa photo, et les stades enflaient de clameurs à son passage. Il était jeune, fort, promis à une carrière longue et brillante. Rien ne semblait pouvoir arrêter l’homme qui courait plus vite que son ombre. Pourtant, il suffit d’un instant. Une route mouillée, une voiture qui dérape, un choc brutal. Et le silence. Quand Louis rouvrit les yeux à l’hôpital, le plafond blanc l’accueillit avec une vérité froide : son corps ne répondait plus comme avant. Une tétraplégie partielle. Un mot qui tomba sur lui comme une sentence. Les médecins parlèrent de rééducation. Les proches parlèrent de coura...

Vous avez dit, Lutins

Souvent, l’hiver, au coin du feu, ma grand-mère me racontait des histoires. Je les adorais, même si elles me donnaient des frissons. Elle parlait de sorcières cachées dans les marais salants, de silhouettes errantes sur le passage du Gois… et surtout, de lutins. Ces petits êtres malicieux vivaient, selon elle, tout au bout de l’île de Noirmoutier, là où la mer protège ses secrets. Parmi toutes ses histoires, celle du rocher de L’Herbaudière me fascinait le plus. Elle affirmait que sous ce bloc de granit, battu sans répit par les vagues, se cachait la porte du monde des lutins. Elle disait les avoir vus, une nuit où la lune éclairait la côte comme un phare : de petites silhouettes dansant au bord de l’eau, rapides et joyeuses. Dans mon lit d’enfant, j’avais du mal à m’endormir après ça. Je retenais mon souffle, pensant qu’un lutin pourrait surgir de l’ombre. Les années ont passé. L’âge adulte m’a appris à ranger les mystères dans des boîtes fermées, à appeler « imagination » ce qui fais...

Entre les lignes

Rien n’était simple. La formation était exigeante au-delà du possible. Pour devenir Navigatrice Inter-Univers, il ne suffisait pas de connaître les théories : il fallait en éprouver les déchirures. Les univers n’étaient pas des planètes séparées par le vide. Ils étaient des réalités entières, chacune écrite selon une logique différente. Pour les franchir, il fallait le Vecteur : une technologie si avancée qu’elle défiait toute loi physique, un vaisseau capable de convertir la matière en hypothèse, et l’hypothèse en trajectoire. Le Vecteur ne volait pas. Il lisait les mondes. Et lorsqu’il trouvait une ligne faible dans la trame de la réalité, il s’y glissait , comme un mot qui change de phrase. Loriane traversait le hangar de l’Institut, la mâchoire crispée. Devant elle flottait le Vecteur, immense et pourtant impossible à saisir du regard : tantôt aile souple, tantôt prisme transparent, tantôt simple contour à peine visible, comme le souvenir d’un objet qui n’aurait jamais existé. Son ...

Un tour d'horloge

Il s’était réveillé plus tôt que d’habitude. Le calendrier, posé de travers sur la table de nuit, lui rappelait que la journée aurait un goût particulier. Une année de plus. Une de celles qu’il ne compte plus vraiment, mais qu’il accueille désormais avec la discrétion des choses simples. Il s’assit au bord du lit et inspira doucement. Le silence de la maison avait la délicatesse d’un linge propre. Pas de fanfare, pas de gâteau. Seulement la lumière d’un matin sage glissant entre les rideaux. Son téléphone vibra plusieurs fois au fil de la journée. Des messages parfois maladroits, souvent chaleureux. Des mots courts, comme si chacun craignait d’en dire trop. Il les lut sans répondre immédiatement. Il préférait les laisser infuser, leur donner le temps de trouver en lui la bonne place. Puis, avec une lenteur voulue, il répondit à chacun. Un remerciement sincère, dépouillé de toute emphase. Au détour d’un nom oublié, d’une absence remarquée, il sentit une pointe brève dans la poitrine. Ri...

Le chant des fleurs

Je restais en admiration devant le spectacle unique : Les trois planètes d’Azura s’alignaient lentement à l’horizon, traçant dans le ciel trois arcs liquides de feu et d’opale. La lumière traversait mes ailes translucides et se diffractait en myriades de reflets. Ma peau, faite de fines membranes d’énergie, vibrait doucement à chaque variation du vent ionique. Nous, les Enfants d’Azura, ne respirons pas comme les êtres de chair que racontent les anciens mythes. Nous absorbons la lumière, les ondes, les pulsations. Le monde entier est une vaste symphonie, et nos corps sont faits pour en suivre le rythme. Mais la brume tombait déjà. Les plaines se couvraient d’un voile d’ombres mouvantes, et je devais rejoindre l’alcôve avant que la nuit ne devienne trop dense. Les courants du crépuscule sont capricieux , ils dérèglent la vibration des ailes et brouillent le chant intérieur. Quelques battements, quelques éclats de lumière plus tard, j’étais de retour. Mira m’attendait. Elle avait déjà pr...

La dernière marche

Mes pas soulèvent la poussière rouge du désert. Je ne ressens ni chaleur ni froid. Le vent ne m’effleure pas : il me traverse. Tout semble suspendu, comme si la réalité avait perdu sa consistance. Je marche depuis un temps que je ne mesure plus. Le ciel, d’un bleu trop pur, reste immobile. Pas un souffle, pas un son. Seulement le frottement de mes pas sur ce sol d’oxyde et de silence. Avant ce désert, il y avait la lumière, les chiffres, la certitude. J’étais responsable de la téléportation intégrée à bord du véhicule stellaire Infinite 212. Une vie entière consacrée à la rigueur, à la mesure, à la beauté froide des formules. Rien ne m’échappait , ou du moins, c’est ce que je croyais. L'Infinite 212, c’était le joyau de la flotte. Un corps d’acier et de lumière glissant dans le vide comme une pensée pure. À son bord, nous ne naviguons pas : nous recomposions l’univers, point par point. Notre mission : maîtriser la translation absolue, transférer la matière et la conscience d’un sys...