Le chant des fleurs



Je restais en admiration devant le spectacle unique :

Les trois planètes d’Azura s’alignaient lentement à l’horizon, traçant dans le ciel trois arcs liquides de feu et d’opale. La lumière traversait mes ailes translucides et se diffractait en myriades de reflets. Ma peau, faite de fines membranes d’énergie, vibrait doucement à chaque variation du vent ionique.


Nous, les Enfants d’Azura, ne respirons pas comme les êtres de chair que racontent les anciens mythes. Nous absorbons la lumière, les ondes, les pulsations. Le monde entier est une vaste symphonie, et nos corps sont faits pour en suivre le rythme.


Mais la brume tombait déjà.

Les plaines se couvraient d’un voile d’ombres mouvantes, et je devais rejoindre l’alcôve avant que la nuit ne devienne trop dense. Les courants du crépuscule sont capricieux , ils dérèglent la vibration des ailes et brouillent le chant intérieur. Quelques battements, quelques éclats de lumière plus tard, j’étais de retour.


Mira m’attendait.

Elle avait déjà préparé les tiges et les calices. Les fleurs s’étaient ouvertes, laissant couler leurs jus irisés au pied des racines. Les pigments flottaient dans l’air, dessinant des volutes phosphorescentes qui s’enroulaient autour de son corps luminescent.


— Tes harmoniques sont plus stables, murmura-t-elle en modulant une onde douce.

— Oui, répondis-je. Les fleurs du versant Est ont retrouvé leur fréquence. Elles recommencent à chanter.


Mira inclina légèrement sa tête cristalline. Son regard, fait de deux sphères translucides, reflétait les éclats du sol.

— Les Veilleurs sentiront la différence, dit-elle.


Je me tus un instant. Les Veilleurs.

Ceux dont nous portons le souvenir dans nos fibres. Un peuple ancien, pure énergie condensée, né des premiers rayonnements d’Azura. Ils n’ont ni corps, ni aile, ni forme fixe : seulement un flux d’éclats, une conscience diffuse qui enveloppe les continents. Ce sont eux qui nous ont modelés, autrefois, à partir des filaments de lumière des fleurs originelles. Nous sommes, en quelque sorte, leurs descendants matériels.


Mais depuis plusieurs cycles, les Veilleurs s’étaient retirés. Leur présence s’affaiblissait, leur chant s'estompant dans le fond du ciel. Azura perdait de son éclat , et nous aussi. Les fleurs, qui faisaient respirer la planète, se fanaient plus vite, leurs cœurs lumineux devenant ternes. C’est pour cela que nous les traitons, chaque jour, avec soin. Non pas pour survivre seuls, mais pour que le grand équilibre demeure.


Cette nuit-là, pourtant, quelque chose changea.

Alors que Mira et moi accordions nos champs vibratoires aux fleurs, le sol se mit à trembler. Une onde lente, profonde, traversa la vallée. Les tiges frémirent, leurs pétales s’ouvrirent d’un seul mouvement.


Une lumière apparut à l’horizon.

Pas celle des planètes, ni celle des orages électriques, mais une clarté mouvante, consciente.

Un Veilleur approchait.


Sa forme se dessinait dans l’air, gigantesque et souple, tissée de rayonnements dorés et argentés. Il ne marchait pas : il ondulait dans le flux magnétique du monde. En sa présence, chaque fleur vibra d’une note unique, et le ciel tout entier se mit à chanter.


Je m’avançai, mes ailes frémissantes d’émotion.

La lumière du Veilleur m’enveloppa. Une chaleur douce pénétra mes fibres, et soudain, je compris : il ne parlait pas, mais transmettait. Des images, des pulsations, des souvenirs…


 « Vous êtes nos enfants.

Les fleurs sont vos cœurs, et vos cœurs sont les nôtres.

Tant que leurs chants vibreront, la lumière d’Azura vivra.

Si elles meurent, tout s’éteindra.

Soignez-les, non pour nous, mais pour ce que nous partageons : le souffle du monde. »




Je sentis une larme de lumière glisser sur ma joue d’énergie.

Mira me rejoignit, ses antennes vibrant à l’unisson. Ensemble, nous inclinons nos corps translucides vers le sol, rendant hommage au Veilleur.


Autour de nous, les fleurs se mirent à pulser, leurs chants se mêlant en un accord parfait. L’air vibrait d’une harmonie si pure qu’elle fit trembler les cristaux de la montagne. Le Veilleur s’éleva lentement, son corps se dissolvant dans la haute atmosphère, et son éclat se dispersa en milliers d’étincelles , comme une bénédiction tombée du ciel.


Nous restâmes longtemps silencieux.

La terre respirait à nouveau. Les fleurs brillaient comme des constellations inversées, et le vent portait encore le souvenir du chant.


Mira posa une de ses mains translucides sur mon torse lumineux.

— Tu entends ? murmura-t-elle. Le monde vit de nouveau.


Oui. Je l’entendais.

Le chant des fleurs.

Le chant des Veilleurs.

Et celui, plus discret encore, de notre propre lumière , celle d’un peuple né pour écouter le souffle d’Azura et vivre en harmonie avec elle .

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