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Face à la mer

Face à la mer, la beauté du paysage s’imposait . Les vagues se succédaient, dociles et régulières, effaçant les traces laissées sur le sable. Autour, les silhouettes assises goûtaient le même spectacle, chacune dans son silence. Le temps semblait immobile, presque sacré. Puis tout bascula. D’abord, ce fut une vibration dans l’air, à peine perceptible, comme un bourdonnement lointain. Ensuite, le ciel, d’un bleu limpide, s’assombrit d’ombres mouvantes. Des objets volants surgirent à l’horizon, grandissant à mesure qu’ils approchaient. Leur formation géométrique trahissait une logique, une mécanique froide. Les regards se levèrent. L’étonnement glissa vers l’effroi. Ils survolèrent le petit port et, dans une précision implacable, ouvrirent leurs flancs. Des bombes chutèrent. La première frappa le quai : une explosion aveuglante pulvérisa pierres et corps. Le souffle brûlant projeta des silhouettes à terre. La mer se cabra comme frappée de plein fouet, ses vagues se retirant pour revenir ...

La spirale

Parfois, on rêve de fuir l’instant présent. On voudrait l’abandonner comme une peau trop lourde, se glisser ailleurs, n’importe où. Madeline, elle, y songeait souvent. Ses jours lui paraissaient ternes, ses nuits trop longues, et chaque matin recommençait avec la même fatigue. C’est une nuit de pluie que la brèche apparut. Sur le mur de sa chambre, une ombre se mit à tourner sur elle-même, comme un filament de fumée. Elle s’élargit, se replia, traça des cercles toujours plus profonds. Une spirale. Vivante. Elle battait comme un cœur. Madeline, hypnotisée, tendit la main. Et aussitôt, le mur se dissout. Elle flottait désormais dans un tunnel de lumière et d’ombre mêlées. La spirale l’enveloppait, la portait à travers ses anneaux. Et dans chacun s’ouvrait une fenêtre. Elle se vit rire dans un jardin éclatant de soleil. Plus loin, elle se découvrit vieille femme paisible au bord de la mer, un carnet posé sur ses genoux. Dans un autre cercle, elle était seule, errant dans une chambre grise...

Retour vers le passé

Guy, au fond de son lit, n’arrivait pas à trouver le sommeil. Les pensées se bousculaient dans sa tête, se chevauchaient sans répit, passant de la plus douce à la plus difficile. Les souvenirs de son enfance se mêlaient à ses regrets d’adulte, ses espoirs étouffés croisaient ses échecs. Chaque fois qu’il croyait apaiser son esprit, une nouvelle vague d’images revenait le hanter. Il tourna et retourna sous les draps, le regard fixé au plafond qu’il connaissait par cœur. Rien n’y faisait. Le sommeil, ce soir-là, s’obstinait à le fuir. Puis, soudain, la douce lumière de sa lampe de chevet changea d’intensité. Elle se mit à briller d’un éclat aveuglant, comme si une étoile entière s’était logée dans l’ampoule. Guy, surpris, ferma aussitôt les yeux pour se protéger. Quand il les rouvrit… tout avait changé. La chambre n’était plus la sienne. Le papier peint défraîchi avait disparu. À sa place, des murs clairs décorés d’affiches d’un autre temps : une vedette yéyé, une voiture aux lignes rond...

Le jour qui pouvait tout changer

Le jour avait du mal à faire apparaître ses premiers rayons de soleil. Un ciel lourd, saturé de cendres, recouvrait le monde d’un linceul gris. Nous étions là, serrés les uns contre les autres, dans les ruines d’un ancien hangar transformé en refuge. Tous les regards fixaient l’horizon, dans l’attente d’un miracle qui n’était plus une certitude, mais une nécessité : voir le soleil, sentir sa chaleur, croire que la vie pouvait encore tenir. Depuis l’explosion nucléaire, la lumière s’était faite rare,  Chaque aurore était devenue un jugement silencieux : la Terre se laisserait-elle encore traverser par le jour ? Ou allait-elle s’éteindre définitivement sous nos fautes accumulées ? Un murmure parcourait le groupe : si le soleil paraissait aujourd’hui, cela prouverait que l’atmosphère, malgré la blessure infligée, pouvait cicatriser. Ce serait le signe que l’humanité avait encore une chance, mince et fragile, de ne pas s’effacer. Alors nous attendions. Et dans cette attente, chacun viv...

Cent pour cent

Sur Aldébaran, le temps était une flèche. Sur Terre, il devenait un labyrinthe. Et pour franchir ses détours, il ne suffisait pas de vivre cent années : il fallait cent récits. Ces récits, je les ai déposés un à un, comme des pierres sur le rivage. Ils étaient des signes, des veilles, des éclats de voix lancés dans la nuit. Et peu à peu, de ces éclats naquit un cortège, une assemblée silencieuse qui m’accompagnait vers l’horizon. Ils n’étaient plus seulement des personnages. Ils étaient forces et fondamentaux , figures mouvantes qui m’ont guidé. L’un portait la lumière fragile d’une lanterne que nulle tempête ne pouvait éteindre. Un autre incarnait la quête blessée, l’interrogation sans fin qui ronge et qui éclaire tout à la fois. Un autre encore avançait comme une racine, sûr et inébranlable, rappelant que l’on ne bâtit rien sans terre sous ses pas. Certaines apparurent comme des flammes, jaillissantes et brèves, d’autres comme des fleuves, patientes et fécondes. Il y eut aussi des gu...

Le chemin

Lorsque l’on part sur le chemin de l’école, à La Guérinière, insouciant comme seul un enfant peut l’être, on ne s’imagine pas ce que peut être demain. Le vent, souvent, accompagne la marche. Il se glisse dans les cheveux, soulève les feuilles de varech échouées sur le sable, porte avec lui des odeurs de sel et d’océan. On avance sans hâte, le cartable au dos, les yeux happés par les dunes qui bordent la route, par l’éclat du soleil qui se reflète sur l’Atlantique. Ce chemin-là, je le revois encore. Il partait du cœur du village, serpentait entre les petites maisons blanches aux volets bleus, puis s’ouvrait soudain vers la mer. Le matin, la lumière baignait tout d’une clarté laiteuse, comme si chaque pas me conduisait vers un monde encore endormi. J’y marchais sans comprendre que, déjà, je construisais mes souvenirs. À cet âge, on croit que l’école est le but, que le présent suffit à remplir la journée. On ne sait pas encore que demain, ce demain invisible, se prépare dans chaque instan...

Le Gois des retrouvailles

La destinée avait tracé ses lignes imprévisibles, et mes pas m’avaient éloigné de toi. Était-ce une fuite, une nécessité, ou simplement l’orgueil de croire qu’on peut vivre sans ce qui nous est vital ? J’avais cru, un temps, que m’éloigner de toi serait salutaire. Mais très vite, ton absence s’est muée en blessure. Chaque jour, ton souvenir revenait, obstiné, parfois doux comme une caresse, parfois brûlant comme un reproche. Je t’entendais dans le silence des soirs, je te voyais dans mes songes, et ton nom, que je n’osais prononcer à voix haute, brûlait mes lèvres. — Pourquoi es-tu restée si présente en moi ? demandais-je au vent, comme si tu pouvais l’entendre. Le vent, lui, ne répondait pas. Mais je savais qu’au-delà des kilomètres, tu respirais encore. Et puis, ce matin, j’ai décidé de revenir. Comme on revient à une promesse qu’on n’a jamais tenue. Mon cœur battait comme à la veille d’une déclaration, mes mains tremblaient sur le volant. J’avais peur et j’avais hâte, à la fois. La ...