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Affichage des articles du avril, 2025

Le Clown

Chaque soir, sous le grand chapiteau aux toiles rouges et or, les rires jaillissaient comme des bulles de champagne. La musique entraînante de l’orchestre, les projecteurs balayants, les odeurs mêlées de foin, de pop-corn et de sueur , tout contribuait à créer une magie que nul ne contestait. Et au cœur de cette féérie, il y avait lui : le clown. Depuis des années, il enchaînait les numéros avec une précision d’orfèvre. Il connaissait chaque geste, chaque chute, chaque silence comique par cœur. Rien n’était laissé au hasard : le seau de confettis cachait toujours un jet de serpentins farceurs, son pantalon trop grand glissait pile au bon moment, et son nez rouge brillait comme un phare dans la nuit. Il faisait rire petits et grands, soir après soir, sans jamais faillir. On l’aimait pour sa maladresse, pour ses grimaces, pour sa capacité à rendre légère la moindre journée. Mais derrière son maquillage épais et son sourire peint, nul ne soupçonnait la mécanique intérieure, usée, fatiguée...

Belleville sous Mer

Je m'appelle Christian, j'ai 30 ans, nous sommes en juillet 2525. Mon métier, installateur de bornes pour la téléportation. Je suis un peu anxieux aujourd'hui, car je suis convoqué aux sièges. Tout est austère ici, les murs holographiques empêchent de voir dans les autres pièces. Une porte s'ouvre, un homme pénètre dans la pièce. Il me demande de prendre place face à lui dans un fauteuil. Après m'avoir poliment salué, il rentre dans le vif du sujet. Christian, voilà quelques années que vous travaillez pour le consortium. Ne vous inquiétez pas, nous sommes satisfaits de vos services. Dans le cas présent, ce sont vos origines qui intéressent le consortium. Je fronce les sourcils, intrigué. Vos ancêtres sont bien originaires de l'ancienne île de Noirmoutier, jadis envahie par les flots, aujourd'hui reconstruite sur le même emplacement mais sous la mer. Je hoche la tête. Mon grand-père m'avait souvent parlé de cette terre disparue, de ses plages et de ses ma...

Belleville sous Mer , le Gois .

Belleville sous mer. Une île engloutie, mais encore vivante. Une respiration lente sous les couches de silice et de mémoire. Pendant cinq ans, Christian s’est acharné à faire battre ce cœur englouti. Il y croyait encore, même quand les autres s’étaient tus. Le projet Symbiose avait fait rêver. Fusionner espace physique et imaginaire, reconstruire des lieux perdus dans une réalité augmentée sensible, presque émotionnelle. Mais les résultats avaient cessé d’évoluer. Les algorithmes stagnaient. Les visiteurs devenaient rares. Le consortium avait classé le projet comme « non prioritaire ». Christian n’a pas protesté. Il s’est retiré doucement, comme on sort d’une pièce sans refermer la porte. Il a continué à travailler dans l’ombre, à explorer d’anciennes structures de code, à ouvrir des tiroirs que d’autres avaient oubliés. Moi, je l’ai regardé faire. D’abord de loin. Je posais des bornes. C’était mon travail, depuis toujours. Ancrer les points de téléportation. Nettoyer les interfaces. A...

Atlantia , la ville magique.

Les Atlantes passaient des jours paisibles dans la capitale. Sous les dômes de verre poli et les cascades suspendues, la vie rayonnait d’une splendeur oubliée par le reste du monde. Les rues pavées de pierres lumineuses serpentaient entre des tours élégantes, et partout résonnaient les chants anciens qui célébraient la grandeur d'Atlantia. La médecine avait fait d'immenses progrès. La plupart des maladies mortelles avaient été vaincues ; les épidémies appartenaient désormais aux légendes sombres d’un passé révolu. Les Atlantes vivaient de longues vies, préservées par des soins subtils, unissant savoir scientifique et magie ancienne. La technologie, quant à elle, ne cessait d’évoluer. Les machines, presque vivantes, aidaient les habitants à façonner la matière selon leur volonté. De vastes jardins flottaient dans les airs, des ponts liquides reliaient les quartiers, et les bibliothèques contenaient des archives du savoir universel. Atlantia semblait intouchable, bénie des dieux ...

Atlantia, le réveil

Pendant des siècles, Atlantia dormit. Enfouie sous les sables des abysses, dissimulée par des forêts de corail et des montagnes sous-marines, la cité magique sommeillait, intacte, protégée par les sortilèges tissés par ses habitants. Les océans eux-mêmes semblaient veiller sur elle, murmurant ses légendes aux marins téméraires. Le monde de la surface changea. Des empires naquirent et s'effondrèrent. Les hommes oublièrent jusqu’à l'existence des Atlantes. Seuls quelques rêves, quelques mythes anciens, parlaient encore d’une cité de cristal endormie sous les flots. Jusqu’au jour où Élina, une jeune exploratrice des mers profondes, guidée par des visions étranges et des rêves récurrents, entreprit la plus périlleuse des plongées. Elle n'était pas comme les autres. Depuis son enfance, elle entendait des voix dans l'eau, des chants qu'aucun autre humain ne semblait percevoir. Comme si l'océan lui-même l'appelait. Au fond d'une faille abyssale, au-delà de tout...

mon nom est Moïse

 Mes pieds glissaient sur la rocaille, et la sueur de mon front se mêlait à la poussière du désert. Le vent soufflait avec violence, comme pour me détourner, mais la Voix qui m’appelait brûlait plus fort encore que le feu de midi. Je montais, seul, portant le poids d’un peuple et la soif d’une alliance. Le ciel se chargeait de nuées épaisses ; et les éclairs dansaient comme des serpents de feu au-dessus des cimes. La montagne tremblait sous mes pas, et pourtant je ne reculais point. Je voulais atteindre le point culminant de cette montagne, appelé, le mont  Sinaï. Alors que j’atteignais le sommet, un silence terrible enveloppa toute chose. Le vent s’arrêta, le monde retint son souffle. Et soudain, les cieux s’ouvrirent en un grondement profond, et la voix du Très-Haut retentit comme mille tonnerres. Il parla, non avec les mots des hommes, mais avec la force de l’éternité. Et du cœur de l’orage, les éclairs jaillirent, traçant dans la pierre vivante les paroles sacrées.  l...

90

La salle était silencieuse. Seule une voix brisait le silence, la voix de l’animateur égrenant les numéros, tel un métronome un peu fatigué. — Trente-sept… Le 37. — Soixante-deux… Le 62… Guy serrait sa grille entre ses doigts moites. Son regard allait et venait nerveusement entre les petites cases et le haut-parleur. Autour de lui, les souffles retenus, les soupirs, les cliquetis discrets des jetons posés sur les cartons. Des vieilles dames, des pères de famille, des accros du hasard. Tous à égalité devant le destin en carton. Il n’avait rien gagné ce soir-là. Ni la quine, ni la double quine, encore moins le carton plein. Et pourtant, il y croyait encore. Il misait tout sur le Papé, le 90. Son porte-bonheur, son obsession. Depuis qu’il était gosse, ce chiffre-là avait une aura. C’était l’âge que son grand-père disait vouloir atteindre. Il était mort à 89 ans. L’ animateur continua, imperturbable. — Vingt-quatre… Le 24. Guy enfonça ses ongles dans sa paume. Le 90 n’était toujours pas to...

L' angélus

Dans le clocher moussu de Saint-Révérien, l’angélus sonnait trois fois par jour. Six heures. Midi. Dix-huit heures. Trois carillons espacés, suivis d’un tintement long et profond, comme une prière qui traîne et s’accroche aux collines. Le village s’arrêtait à chaque fois : les mains s’essuyaient aux tabliers, les tracteurs coupaient le moteur, et les vieilles baissaient les yeux, comme si Dieu lui-même passait en inspection. Mais à Saint-Révérien, Dieu était un vieux complice à qui on glissait des secrets à l’oreille. Et dans le silence sacré de l’angélus, chacun pensait à tout sauf au ciel. Le curé, l’abbé Lemoine, officiait depuis plus de trente ans. Ses homélies sentaient la sueur, la résignation, et parfois le vin. Il parlait peu du péché, car ici, tout le monde en vivait. Il n'était plus qu’un témoin — fatigué, complice, et parfois, plus acteur qu’il n'aurait dû. Les messes du dimanche étaient pleines. Pas de foi véritable, non, mais de stratégie sociale. La première rangé...

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Louise balance ses jambes dans le vide. Le ciel est devenu mauve, annonçant la fin du jour. Elle joue avec ses doigts, formant des chiffres invisibles dans l’air. "Un… deux… trois..." murmure-t-elle. Elle compte à chaque fois qu’elle espère voir apparaître une silhouette familière au bout de la rue. Maman lui a dit que Papa viendrait aujourd’hui. Pas demain, pas après-demain. Aujourd’hui. Mais le soleil a commencé à s’éteindre derrière les toits et Papa n’est toujours pas là. "Il a peut-être du retard," pense-t-elle à voix haute. "Ou il a oublié." Elle ne veut pas croire à cette dernière option. Pourtant, son cœur se serre un peu plus à chaque minute qui passe. Elle ferme les yeux, tente de se rappeler son visage. Son sourire. La chaleur de ses bras lorsqu’il la prenait contre lui. Elle descend du rebord et court jusqu’au téléphone posé sur la petite table du salon. Maman est dans la cuisine, trop occupée pour voir ses petits doigts composer un numéro qu’e...