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La vallée des fées

​En débutant la lecture de cette nouvelle, je vois votre sourire en coin. La Vallée des Fées, pourquoi pas, le rocher des lutins ? Je vous laisse juger après la lecture de ce récit. ​Mylène adorait se promener dans cette vallée. Beaucoup de souvenirs de son enfance étaient liés à cet endroit. C'était un lieu où la lumière filtrait toujours d'une manière particulière, caressant les mousses phosphorescentes qui recouvraient les rochers et les troncs centenaires. Le murmure du ruisseau, un filet d’argent qui serpentait au fond, était la seule musique. ​Sa promenade était sans doute la dernière. La maladie, une ombre froide et persistante, avait fini par la rattraper. Chaque pas lui coûtait désormais un effort surhumain, mais elle s’y accrochait, cherchant dans le vert profond de la vallée une dernière bouffée de son enfance, une dernière échappatoire à la douleur. Elle avait besoin de dire adieu à ce lieu sacré. ​Alors qu’elle s'asseyait, le dos contre le tronc d'un chêne ...

Le café du matin

Les jours peuvent paraître insipides. On se lève le matin, on effectue les mêmes gestes que la veille. Les automatismes font que les choses se passent bien, sans éclat, sans surprise. Guy vivait ainsi, tranquille et invisible, dans le monotonie paisible d’une vie sans heurts. Novembre avait étendu sur la ville son manteau de brume. L’air sentait le bois humide et les feuilles mortes. Le vent faisait danser les parapluies, les passants se hâtaient, les réverbères s’allumaient trop tôt. Guy aimait cette période de l’année. Le monde semblait marcher plus lentement, comme lui. Chaque matin, il descendait de chez lui, le col relevé, les mains au fond des poches, et s’arrêtait au petit café du coin. Un lieu simple, un peu usé, mais rassurant , avec sa lumière dorée, ses odeurs de croissant chaud et de café fraîchement moulu. Guy s’y installait toujours à la même place, près de la vitre, d’où il pouvait observer le ballet du dehors sans y prendre part. Il était de ces hommes que l’on croise s...

Décalage

Ma montre indiquait sept heures. Le ciel, pourtant, avait la couleur d’un matin déjà bien avancé. Les ombres étaient trop courtes, la lumière trop franche. Quelque chose n’allait pas. Une femme passa, pressée, un café fumant à la main. — Excusez-moi, vous avez l’heure ? Elle me jeta un regard distrait. — Dix heures. Puis elle s’éloigna, sans me laisser le temps de la remercier. Dix heures. Je regardai ma montre — sept. Mon téléphone — sept aussi. Le monde semblait m’avoir distancé de trois heures, comme si je marchais en dehors de son rythme. Je me suis mis à courir, sans vraiment savoir pourquoi. Lorsque j’arrivai au travail, mon responsable m’attendait sur le seuil. — Vous avez vu l’heure ? Ici, on ne commence pas à onze heures mais à huit ! J’ouvris la bouche, mais aucun mot sensé ne me vint. Allais-je vraiment parler de décalage du temps ? J’aurais eu l’air fou. Les jours suivants, les incohérences se multiplièrent. Le soleil se levait à des heures imprévisibles, les horloges du bu...

Équinoxe

Dans le village de Barbâtre, tout le monde connaissait Gus. De son vrai nom Auguste, mais personne ne l’appelait ainsi, pas même le maire. Gus, c’était un peu l’âme du village , un être de sel et de vent, toujours prêt à tendre un panier ou à partager un morceau de sa pêche. Il connaissait tous les coins de la côte : les roches où dorment les crabes, les passes où le courant charrie les soles, les failles où s’accrochent les coques. Il revenait toujours avec des prises incroyables, comme si la mer, reconnaissante, lui faisait des cadeaux. Grâce à lui, dans le village, les tables ne restaient jamais vides. Les plus anciens disaient qu’il parlait à la mer comme à une amie, qu’il la comprenait, qu’elle le comprenait aussi. Chaque année, à la fin septembre, Gus attendait les marées d’équinoxe avec une ferveur silencieuse. C’était le moment où tout se jouait, où la mer et le ciel semblaient se confondre dans une lumière trouble, ni tout à fait jour, ni tout à fait nuit. Ce matin-là, il se l...

Le prix du silence

Louis se réveilla en sursaut. Une clarté laiteuse filtrait à travers les volets clos, étirant sur le mur les ombres fragiles d’un matin sans forme. Il tourna la tête vers le réveil : 8 h 47. Déjà en retard. Pourtant, ce n’était pas le temps qu’il redouta, mais l’absence de bruits . Une absence absolue. Pas de moteur, pas de pas dans l’escalier, pas même le souffle du vent. Le monde semblait suspendu, vidé de son murmure. Depuis des années, ce tumulte quotidien l’étouffait. Les klaxons, les voix, les disputes du voisinage, le brouhaha continu de la ville , tout cela formait autour de lui une armure sonore dont il rêvait de se libérer. Combien de fois, dans la solitude de ses nuits, avait-il murmuré :  " Je donnerais n’importe quoi pour que tout se taise" . Ce matin-là, le vœu semblait exaucé. Il ouvrit la fenêtre : la rue dormait. Les arbres, figés. Les voitures, immobiles. Même la lumière semblait s’être arrêtée, hésitante. Un frisson le parcourut. Il enfila ses vêtements, de...

L' escalier

La route pour me rendre à mon domicile me semblait plus longue que d’habitude. Peut-être avais-je, sans m’en rendre compte, levé le pied de l’accélérateur. La nouvelle dont j’étais porteur pesait sur mes épaules : c’était ma dernière journée de travail. L’entreprise fermait ses portes, et le chômage venait, cette fois, frapper à la mienne. Je venais de terminer une ultime tournée. Le hasard avait voulu que je livre des cartons de chocolat , douce ironie , quand la vie, elle, avait un goût amer. C’était un matin gris, de ceux où la lumière se fait timide, où l’air semble hésiter entre la pluie et la brume. L’adresse indiquée me mena dans une rue encombrée de voitures. Devant un bâtiment aux murs clairs, une enseigne discrète signalait le nom d’une entreprise. Je sonnai, et une voix claire et posée répondit : — Vous pouvez monter, c’est à l’étage ! Un petit escalier en bois se dressait sur la gauche. Les marches craquaient doucement sous mon pas, comme si elles me saluaient au passage. L...

L ' image

La chaleur s’installait plus vite que jadis. La Martinique faisait elle aussi face aux défis climatiques. Avant même que le soleil ne s’élève, l’air vibrait d’une lourdeur que les anciens n’auraient jamais imaginée. Mon guide, un Préchotin aux gestes économes, avait insisté pour que nous partions avant l’aube, « avant que la chaleur ne se glisse dans nos os », avait-il dit. Nous marchions entre les champs de bananes, d’ananas et de canne à sucre, ce trio qui avait façonné le paysage et nourri les générations. Mais la terre y respirait de plus en plus fort, haletante, comme si elle cherchait encore à tenir debout malgré l’étouffement du climat. Le guide portait sur sa tête un bakoua, chapeau tressé aux larges bords, qu’il tapotait de temps en temps pour le maintenir en équilibre. Il m’expliqua qu’autrefois, ce simple couvre-chef servait à bien plus qu’à se protéger du soleil : — Le bakoua, c’est un rempart contre la nature quand elle se fait dangereuse. Tu peux même y arrêter la chute d...