L' Aube
Noirmoutier, an 12 après la Chute.
L’aube nouvelle allait bientôt apparaître. Ici, sur mon île, tout était encore calme. La lumière montait doucement depuis l’horizon, effleurant les toits blanchis, les dunes silencieuses, les marais que je connaissais par cœur.
Je suis né à Noirmoutier, bien avant la Chute. J’ai grandi entre le bois de la Chaise et les marais salants de l’Épine, entre les pins tordus par le vent et les odeurs iodées du port de l’Herbaudière. J’ai vu cette île vivante, bruissante l’été, sauvage et battue par les tempêtes l’hiver. Et j’ai vu aussi son effacement progressif, quand le monde a implosé.
La Troisième Guerre mondiale n’a pas épargné la Vendée. Les grandes villes ont sombré rapidement, dans les flammes ou le silence. Mais ici, malgré les pluies noires et l’air devenu rare, l’île a tenu. On dit parfois qu’elle est restée debout par orgueil, ou par habitude d’être un monde à part. Je pense que c’est la mer qui nous a protégés. Elle nous a toujours séparés du reste du monde. Cette fois, elle nous a isolés pour mieux nous sauver.
Il ne reste presque rien des infrastructures d’avant. Le pont a été démonté, pierre par pierre, pour éviter les pillages. Le Gois, lui, existe encore, mais il est devenu trop dangereux. Les eaux l’ont rongé. On ne traverse plus. On reste entre nous.
Ce matin, comme chaque matin, je monte à l’ancienne tour du château. C’est devenu mon poste d’observation, mon repère. D’ici, je vois la mer partout : au nord, elle lèche les dunes de Barbâtre ; au sud, elle entoure les digues reconstruites à la main. Les anciennes zones touristiques sont désertes. Les campings ont été réinvestis par les collectifs de bâtisseurs. On y vit, on y travaille, on y apprend.
Il n’y a plus de pouvoir central. Juste des cercles, des décisions prises ensemble, à la pleine lune. On a recréé une forme de société, lente, rustique, mais plus juste. Le sel est redevenu essentiel. Il soigne, il conserve, il unit. Chaque été, les marais reprennent vie. Et moi, l’enfant du pays, je guide ceux qui ne sont pas d’ici. Je leur montre comment écouter l’île. Elle parle, elle respire encore. Sous les cicatrices, elle vit.
Parfois, je passe près de l’école de mon enfance. Elle est vide. Une ruine. Des herbes ont tout envahi. Mais je m’arrête là un instant. Parce qu’il faut se souvenir. Pas pour pleurer, non. Pour ne pas recommencer.
Ce matin, il y a une lumière particulière. L’air n’a plus ce goût métallique des premières années. Les oiseaux sont revenus. Même les abeilles. Et dans les potagers collectifs, les premiers plants de tomates fleurissent sans abri.
J’arpente la plage de Luzéronde. À marée basse, la mer dégage ses secrets. Les coques rouillées d’anciens voiliers, les restes d’un monde trop pressé. Je touche le sable, je respire.
L’île a changé, mais elle est là. Et moi aussi.
L’aube nouvelle n’est pas une révolution. C’est une respiration.
Peut-être que cette fois, on fera mieux.
Peut-être que cette île, la mienne, montrera le chemin.
Commentaires
Enregistrer un commentaire