Sous l'onde
Ce nouveau moment semblait propice à toutes les découvertes.
Les courants portaient des messages d’une clarté inhabituelle, comme si la mer, dans un rare élan, m’invitait à quitter mon domaine familier. Mais je n’oubliais pas les mots de l’Ancienne :
— Calme tes instincts d’explorateur. Le dessus est un désert cruel.
Je n’ai jamais vu le dessus autrement que dans les reflets brisés de la surface. Le peuple qui l’habite est sec, dur, armé de machines qui ne respirent pas. Ils n’entendent rien aux murmures des eaux.
Moi, je suis né au creux de la grande barrière de corail, parmi les tours vivantes et les arches colorées où chaque pierre, chaque anémone, à sa voix. J’ai appris à parler le langage des flux, à sentir le pouls des marées, à plier les vibrations comme d’autres plient le métal.
La synergie de l’onde est mon art. Je peux transformer un murmure en cri, une caresse en raz-de-marée.
Aujourd’hui, l’eau tremblait d’une manière étrangère. Pas le frisson chaud des bancs de poissons, ni la pulsation lente des cétacés. Non… c’était un choc froid, répétitif, métallique. Des ondes sèches. Elles venaient d’en haut.
Je me glissai dans la faille qui mène à la frontière. Là, je les vis : des corps étrangers, gainés dans des coquilles lisses et brillantes, marchant maladroitement sur le sable, mais avançant toujours. Derrière leurs visages cachés, je sentais leur impatience. Ils cherchaient… quelque chose.
Je fis demi-tour et traversai les tunnels de corail pour rejoindre le Conseil. Les doyens m’attendaient déjà , les courants avaient porté mon signal.
— Ils descendent.
Pas un mot de plus. Nous savions tous ce que cela signifiait. Le dessus ne s’arrête que lorsqu’il a tout pris.
Alors, on me confia la tâche que nul ne souhaite accomplir : libérer l’onde de rupture. La vibration ultime, celle qui fend la roche, pulvérise les coques et ferme à jamais les passages. Mais elle exige de s’approcher au plus près… si près que le retour devient incertain.
Je suis parti.
Les ténèbres s’épaississaient tandis que je nageais vers eux. Leurs lumières trouaient l’eau comme des lames. Le sable se soulevait sous leurs pas, lourd et aveugle. Ils ne sentaient pas l’onde qui s’accumulait autour d’eux, prête à éclater.
J’ouvris mes nageoires, étendis mes mains membraneuses, et libérai la vibration.
Elle partit comme un battement de cœur géant, soulevant l’océan tout entier. Leurs coquilles craquèrent, les bulles jaillirent, les projeta vers le haut. Le passage se scella derrière eux, tissé de coraux vivants et de pierres compactes.
Le silence revint.
Pourtant, il n’avait plus la même saveur.
Les coraux vibraient encore, porteurs d’un écho lointain. Dans le noir, les poissons s’étaient retirés, et même les grandes baleines qui sillonnent nos mers depuis les âges premiers , gardaient le silence.
J’écoutai… et j’entendis. Très loin, au-delà des murs de corail, une autre onde, grave et lente, qui ne m’était pas familière. Comme une réponse… ou une promesse.
Je le sais : le dessus ne renonce jamais.
Ils reviendront, plus nombreux, plus lourds, avec des ondes capables de déchirer les nôtres. Et alors, il me faudra franchir la surface, pour affronter leur monde.
Je ne sais pas si l’onde m’accompagnera là-haut. Mais si elle m’abandonne, je trouverai autre chose. Car la mer m’a appris ceci : celui qui veut survivre doit savoir se métamorphoser.
Et moi… je n’ai pas fini de changer.
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