Le chemin fantastique



Mon cartable à la main, je descendais, comme chaque matin, le petit chemin de sable qui me menait à l’école. Mais en réalité, je partais ailleurs.


Ce sentier, à peine tracé entre les maisons et les dunes, s’ouvrait pour moi sur un monde invisible aux adultes. Les arbres bordant le chemin n’étaient pas que des arbres. Ils formaient une armée silencieuse, de grands êtres dressés vers le ciel, figés comme dans l’attente d’un secret. Leur murmure, quand le vent passait entre leurs branches, me parlait. C’était une langue que je ne comprenais pas encore, mais que je sentais familière, presque rassurante.


À leur ombre, je devenais un autre. Je n’étais plus l’écolier du matin pressé, mais un messager du royaume caché. Chaque pas était un début d’aventure. Chaque craquement de brindille, une alerte. Je faisais attention à tout. Je longeais les troncs avec prudence, persuadé qu’ils me suivaient du regard, qu’ils me testaient.


Parfois, je m’imaginais que certains d’entre eux étaient plus anciens que l’île elle-même. Des témoins d’un autre âge, gardiens d’histoires oubliées, enracinés dans les mémoires que le vent emportait au large.


Les petites maisons, que je croisais en contrebas, se transformaient à mes yeux en postes d’observation. J’étais surveillé. Les brigands de grand chemin n’étaient jamais loin. Derrière un volet entrouvert, un œil pouvait apparaître. Il fallait rester en mouvement, marcher vite, ne pas tomber dans un piège.


Et certains matins, je bifurquais. Je quittais le sentier de l’école pour celui, plus vaste, de l’inconnu. Je remontais vers la plage. Là, le sable encore froid sous mes semelles et l’horizon qui brillait d’une lumière blanche me donnaient le vertige.


Je courais jusqu’aux rochers, jusqu’à ces épaves couchées sur le flanc, battues par la marée. Pour moi, elles n’étaient pas abandonnées. Elles m’attendaient. C’était ma flotte, mon équipage invisible. Je prenais le large, capitaine solitaire à la barre d’un navire imaginaire.


Je me souviens du goût du sel sur mes lèvres, du cri des mouettes qui semblaient me saluer, du silence étrange des marais à marée basse. Je me souviens des balades à vélo entre les herbes hautes, des cabanes cachées derrière les dunes, de cette lumière unique qui tombe en fin de journée sur les toits plats.


Noirmoutier était mon territoire. Un monde à ma mesure, à la fois immense et minuscule, plein de recoins à explorer, de mystères à protéger.


Aujourd’hui encore, quand j’y reviens, les arbres sont là. Toujours muets. Toujours là. Ils ne m’ont pas oublié, je crois. Il suffit que je reprenne ce chemin, cartable ou pas, pour qu’à nouveau tout s’efface : le temps, les années, le réel.


Merveilleux temps de l’enfance, où il ne devait pas y avoir de place pour la tristesse.


Noirmoutier, tu as été ce refuge. Et peut-être le restes-tu, en silence, comme les arbres.


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