Conquêtes


Les ressemblances avec des personnes existantes sont accidentelles. Ou prophétiques …


Le jeu avait tourné en boucle toute la nuit.

Pas un petit jeu de stratégie pour scouts en mal de pouvoir, non.

Un simulateur géopolitique avancé.

Ultra-réaliste. Ultra-addictif. Ultra-destructeur .


Grâce à un savant dosage de cyber-ruse et d’arrogance bien tempérée, j’avais annexé la moitié d’un pays voisin. Sans armée, sans débat parlementaire, sans sourciller. Un chef-d’œuvre de conquête par glissement progressif.


Un peu comme une infiltration virale. Mais avec des drapeaux.


La partie nord était tombée, nette et sans bavure. Elle m’appartenait désormais, au nom de la stabilité, de l’ordre, et d’une ambition personnelle que je préférais appeler vision stratégique transnationale (plus chic que “caprice de gamer”).


Quant à l’autre moitié du pays, ce ramassis de villages mal alignés et de citoyens opiniâtres, j’avais trouvé la solution : des droits de douane si élevés qu’ils ne pourraient même plus importer leur dignité.


L’économie locale ? Atomisée.

Les commerces ? Réduits à vendre du sable recyclé et des souvenirs d’indépendance.

La population ? Trop occupée à survivre pour protester efficacement.


Je m’auto-proclamai Grand Modérateur Suprême.

Mon discours inaugural fut bref :


 « Je viens en paix, avec un pare-feu et une clause de non-contestation. »


Les avatars de mes nouveaux sujets réagirent avec enthousiasme programmé :


— « Merci pour cette conquête inclusive ! »


— « On ne sait plus qui on est, mais au moins c’est organisé. »


Je souriais. Tout fonctionnait à merveille. Même la météo était sous contrôle.


Mais voilà : à 03 h 12, le bug.


Un caractère oublié. Une virgule traîtresse. L'équivalent numérique d’une révolution en pantoufles.

Et soudain, les lignes de code se rebellèrent. Les citoyens numériques créèrent un tribunal populaire, m'accusèrent de tyrannie ludique, et votèrent à l’unanimité mon bannissement.

Je fus délogé, humilié, et effacé.


Mon empire ?

Un simple fichier corrompu.

Mon autorité ?

Enterrée sous un dossier intitulé : “Ancien régime – à ne pas restaurer”.


Je me réveillai seul, le front collé à mon clavier, la couronne en alu fondue sur l’unité centrale.


Dehors, le vrai monde continuait. Le pays voisin , le vrai, celui avec des gens qui votent, qui râlent, qui vivent , était toujours là.

Pas conquis.

Pas à genoux.

Juste… vivant.


J’ai soupiré. J’ai rouvert le simulateur.


Et je me suis dit que la seule chose plus tenace qu’un dictateur virtuel, c’est un dictateur qui ne comprend pas la déconnexion.


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